Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

N. VALENT/NOV Que serait-il advenu du Parti, de notre révolution, du marxisme, si Lénine s'était incliné devant la lettre du marxisme, s'il n'avait pas eu le courage théorique de rejeter une des vieilles conclusions du marxisme en la remplaçant par une conclusion nouvelle, sur la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays pris à part, conclusion conforme à la nouvelle situation historique ? Le Parti aurait erré dans les ténèbres, la révolution prolétarienne aurait été privée de direction, la théorie marxiste se serait mise à dépérir. Le prolétariat y aurait perdu, les ennemis du prolétariat y auraient gagné 26 • Les passages ci-dessus, tout en donnant à croire que le Parti n'avait d'autre cerveau que celui, omniscient, de Lénine, témoignent fort bien en même temps de l'importance exceptionnelle que devait prendre dans l'histoire du Parti (ajoutons : et du monde) la nouvelle théorie du socialisme dans un seul pays. On ne peut pas ne pas remarquer que l'adhésion du Parti à la nouvelle «vérité» s'est accomplie dans des conditions quelque peu insolites. Tout d'abord, au nom du Comité central, on se mit à élaborer des thèses sur la mission et la tactique du Comintern à l'époque dite « du ralentissement de la révolution internationale et de la stabilisation du capitalisme ». Et parmi ces thèses, dues principalement à Zinoviev, on interpola des passages sur le trotskisme, des citations de l'article de Lénine « Sur la coopération» et d'un autre intitulé : « Sur notre révolution ». Les nouvelles doctrines du Comité central, une fois acceptées au Comité exécutif du Comintern le 6 avril, furent rapportées par Zinoviev le 29 avril 1925 dans une longue intervention à la 14e Conférence du Parti, qui les approuva. La théorie du socialisme dans un seul pays fut pour ainsi dire escamotée parmi d'autres thèses du Comité central sur les tâches du Comintem, et ne fut pas présentée sous la forme habituelle d'une adresse directe au Parti. Voici l'essentiel de la résolution votée : L'U.R.S.S., pays de la dictature ouvrière et base de départ de la révolution internationale, doit se considérer comme le puissant levier et le support de cette révolution; d'autre part, le parti prolétarien au pouvoir doit consacrer tous ses efforts à créer la société socialiste, convaincu qu'elle peut être et à coup sûr sera victorieuse si l'on réussit à défendre le pays contre toute tentative de restauration. Cette résolution présente indiscutablement un caractère de compromis. On peut présumer qu'il y a là à la fois du Staline et du Zinoviev. Un an et demi plus tard, Trotski, à la 15e Conférence du Parti (26 octobre - 3 novembre 1926), persistant à penser que « la victoire [du socialisme] dans notre pays ne serait définitivement assurée qu'avec la révolution victorieuse du prolétariat européen », demandait : Pourquoi réclame-t-on que soit officiellement reconnue la théorie du socialisme en un seul pays ? Où a-t-on 26. Histoire du parti communiste (bolchévik) de /'U.R.S.S., ~dition de 1949, pp. 395-96. Biblioteca Gino Bianco 77 pris cette idée ? Comment se fait-il qu'avant 1925 personne n'en ait jamais parlé 27 ? Nous croyons, pour notre part, avoir suffisamment expliqué dans les pages précédentes l'origine de cette théorie. Une fraction du Parti, en la personne de Trotski, Zinoviev, Kamenev, Piatakov, Radek, Racovski, Evdokimov, Zaloutski, Lachévitch, Smilga et de bien d'autres, refusa d'admettre la thèse du socialisme dans un seul pays, et la rejeta plus ou moins ouvertement, la considérant comme une hérésie. Et comme son porte-parole le plus en vue n'était autre que Trotski, l'opposition fut taxée de trotskisme, bien que jusqu'en 1917 ce terme ait désigné la « conception suivant laquelle la révolution bourgeoise en Russie ne pourrait résoudre ses problèmes autrement qu'en remettant le pouvoir au prolétariat » 28 • En 1927, les partisans du trotskisme et de ce que l'on nomma alors la «nouvelle opposition » furent chassés du Parti. Bon nombre d'entre eux, après avoir fait leur soumission, y furent réintégrés, mais à l'époque des épurations sanglantes de 1936-38, ils furent exterminés jusqu'au dernier par Staline. Mais l'immense majorité des dirigeants accepta la thèse du socialisme dans un seul pays, thèse qui, mise en pratique sous le règne de Staline, devait conduire le pays aux pires épreuves : famine, terreur, travail forcé des ouvriers, extermination de paysans, collectivisation obligatoire des campagnes, étouffement de l'intelligentsia, camps de concentration, purges sanglantes ; c'est au prix de millions de cadavres que le pays devait parvenir à un certain développement de la technique, de l'industrie lourde et de l'armement. Mais avant la dictature absolue de Staline, cette idée du socialisme dans un seul pays avait inspiré l'action de certains cadres du Parti - au sens du moins où ils l'entendaient, - que leurs advers~es nommaient avec dédain ou même avec hainé « déviationnistes de droite » et qu'on peut nommer communistes de droite. En 1928, les communistes de droite, avant leur massacre en 1936-38 par Staline, étaient déjà bâillonnés, mais en 1925, appliquant à fond la nep, notamment dans les campagnes, le communisme de droite a exercé une action considérable sur toute la vie du pays. Cette année-là et les suivantes, période originale et sans doute la plus intéressante de l'histoire du parti communiste de !'U.R.S.S., est intéressante encore à un autre titre : c'est en effet une politique dans l'esprit du communisme de droite qu'ont tenté de mener (avant l'interdiction de Moscou) Gomulka en Pologne et Imre Nagy en Hongrie après la révolte de 1956, juste avant la répression sanglante à laquelle se livrèrent les héritiers de Staline. ( Traduit du russe) N. V ALENTINOV. 27. Compte rendu sténographique de la 15'-' Conférence, p. 533. 28. Léon Trotski : Ma vie, Berlin 1930, t. II, p. 470.

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