76 si cette révolution internationale ne s'opère qu'avec un certain retard ? Existe-t-il quelque lueur d'espoir pour notre révolution ? Trotski n'en laisse guère, pour qui « les contradictions d'un gouvernement ouvrier ne pourront trouver leur solution qu'à l'échelle de. la révolution prolétarienne mondiale». On aura beau faire, « on ne pourra véritablement implanter une économie socialiste aussi longtemps que le prolétariat n'aura pas triomphé dans les principaux pays d'Europe ». Or cette victoire est encore loin d'être acquise en Occident ; il ne reste donc à la révolution russe que le « choix » suivant : ou bien pourrir sur pied, ou bien dégénérer en Etat bourgeois. Il est significatif, à cet égard, d'entendre Trotski, depuis deux ans, parler d'une dégénérescence de notre parti. Ainsi, en invoquant une « vérité indiscutable » découverte dans l'article de Lénine sur la coopération, Staline s'efforçait d'acculer Trotski dan~ une impasse. Et il concluait hardiment : « Celui qui nie la possibilité du socialisme dans un seul pays est nécessairement amené à nier également le bien-fondé de la révolution d'Octobre. » STALINEne fut pas le seul à rompre des lances à propos des Leçons d'Octobre de Trotski; d'autres que lui s'interrogèrent sur les perspectives du socialisme en Russie. Le Parti était entré dans l'ère de la nep accablé de problèmes non point théoriques, mais bien concrets : ceux que posait l'application pratique de la nouvelle politique économique. Il écoutait les exhortations de Lénine (22 novembre 1922), disant que « la nep est le mot d'ordre du jour, impérieux, primant absolument tout», mais, dans une perspective plus générale et à long terme, il continuait sur le plan théorique à soutenir que l'instauration véritable et effectivedu socialisme ne pourrait commencer qu'après la victoire de la révolution prolétarienne dans l'Europe entière. Le Parti s'écartait donc des vues de Lénine ; n'est-il pas significatif que l'article « Sur la coopération » ait passé inaperçu lors de sa publicatio~? Cependant en 1924 il devint désormais évident qu'il fallait abandonner tout espoir de révolution socialiste en Europe dans un proche avenir. Après l'effrondement, en 1923, de la révolution en Allemagne et l'échec total de la tentative communiste en Bulgarie, après l'affermissement du fascisme en Italie, il n'y avait nulle part aucun indice de révolution en marche. On en vint alors à parler de « retard » de la révolution, de « stabilisation du capitalisme», de l'absence d'une « situation immédiatement révolutionnaire en Europe». Il est naturel que de nombreux dirigeants du Parti, devant un tel état des choses et sans même penser à Trotski ni à ses théories, se soient posé la question : si la réalisation du socialisme dans notre pays est impossible sans révolution mondiale, si d'autre part cette révolution se fait attendre et si personne ne peut dire quand elle éclatera, comment définir notre situation et, les choses étant ce qu'elles sont, quelles BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL doivent être nos tâches ? Quel est le sens de tout ce que nous avons fait, et peut-on créer quoi que ce soit avec conviction si l'on ne sait pas clairement où l'on va? L' « analyse très poussée» à laquelle o~.pro~é~a à cette époque (ou, plus exactement, 1mterp!etation révisionniste des articles publiés par Lénme en 1923, notamment de son article sur la coopération) eut une portée considérable. ~n enregistra une sorte de secousse psychologique : les nouvelles idées de Lénine ne laissaient plus place au vague, à l'inconnu,. aux hésitations. Elles persuadaient désormais les esprits que l'on pouvait réaliser le socialisme sans l'aide du prolétariat socialiste d'Europe. Mais pour autant que l'on sache, le premier à souligner cela fut non pas Staline, mais bien Rykov, soutenu par Boukharine. La discussion commença dès octobre 1924, avant même la publication de la brochure de Staline. A part quelques obscures allusions, on ne trouve là-dessus rien de substantiel dans la presse du Parti ni dans les comptes rendus du Comité central. Mais on pouvait déjà entrevoir de quel côté allaient tourner les choses, et la nouvelle doctrine sur le socialisme « dans un seul pays » fut officiellement reconnue, pour la première fois, dans une résolution de la 14 e Conférence du Parti, tenue du 27 au 29 avril 1925. Plus tard, cette résolution fut présentée comme « l'un des documents les plus importants de l'histoire de notre Parti », et les thèses qu'elle développait comme « une loi absolue pour tous les membres du Parti ».Voici ce que dit, sur la nouvelle théorie, l' Histoire du parti communiste de l'Union soviétique éditée en 1938 ( on sait qu'elle a été écrite par Mitine et quelques autres, mais que Staline ordonna de la considérer comme émanant de sa plume): Dans leur étude du capitalisme pré-impérialiste, Engels et Marx en étaient arrivés à la conclusion que la révolution socialiste ne pouvait vaincre dans un seul pays pris à part; qu'elle ne pouvait vaincre que si l'explosion se produisait simultanément dans tous les pays, ou dans la plupart des pays civilisés. C'était au milieu du xrxe siècle. Cette conclusion devint plus tard un· principe directeur pour tous les marxistes. Cependant, vers le début du xxe siècle, le capitalisme pré-impérialiste s'est transformé en capitalisme impérialiste, le capitalisme ascendant s'est transformé en capitaliste agonisant. Après une étude approfondie du capitalisme impérialiste, Lénine - s'inspirant de la tliéorie marxiste - a été amené à conclure que l'ancienne formule d'Engels et de Marx ne correspondait plus à la nouvelle situation historique ; que la révolution socialiste pouvait parfaitement triompher complètement dans un seul pays pris à part. Et les opportunistes de tous les 'pays de se cramponner à l'ancienne formule d'Engels et de Marx, en accusant Lénine de s'écarter du marxisme. Mais le vrai marxiste, celui qui s'était assimilé la théorie du marxisme, c'était évidemment Lénine et non les opportunistes, puisque Lénine faisait progresser la théorie marxiste en l'enrichissant de la nouvelle expérience acquise, tandis que les opportunistes la faisaient rétrograder en la momifiant.
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