Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

N. VALENT/NOV ques pays ou même dans un seul pays capitaliste pris isolément. Plus tard, en 1916, Lénine ajoutait : Le développement du capitalisme s'accomplit fort inégalement selon les pays. Il ne peut en être autrement dans une économie de marché. D'où une conclusion irréfutable : le socialisme ne peut vaincre simultanément dans tous les pays. Disons tout de suite que la loi du « développement inégal » découverte par Lénine ressemble assez à une « loi » qui, par exemple, érigerait en << principe intangible» le fait que les hommes se différencient par la taille, l'aspect extérieur, le développement intellectuel et autres traits distinctifs. Pour aboutir à une conclusion de ce genre, il n'est pas nécessaire d'être versé dans les sciences économiques ; il suffit d'ouvrir les yeux. En second lieu, on ne voit guère pourquoi l'inégalité de développement économique est présentée comme une loi « absolue » du seul capitalisme en tant que tel : cette inégalité n'existait-elle donc point avant l'ère capitaliste? Troisièmement, expliquer le développement inégal par l'économie de marché est une pure absurdité. La différence de niveau économique entre plusieurs pays s'explique par l'histoire, le climat, la situation géographique et les richesses naturelles. Dans les passages cités plus haut, Lénine pensait aux pays capitalistes avancés, économiquement développés, et lorsqu'il dit que dans l'un de ces pays le socialisme peut s'établir plus tôt que dans d'autres, cette thèse, a priori, ne soulève aucune objection. En 1915 et 1916, il n'en était pas encore arrivé à conclure que, l'inégalité du développement économique étant une loi absolue, le socialisme peut fort bien être introduit dans un seul pays, celui-ci fût-il très en retard et économiquement arriéré. Ce n'est que plus tard, dans son article sur la coopération, qu'il formula cette conclusion, quelque peu étrange et d'une surprenante évidence, et sous une forme, du reste, ne laissant place à aucune équivoque. C'est donc à cet article que va se raccrocher Staline (alors que ni lui ni personne n'y attachait auparavant d'importance particulière) : il y voit comme une illumination, la révélation d'une « vérité indiscutable» 23 • En même temps que la << loi du développement inégal », selon laquelle la victoire du socialisme est possible « dans un seul pays, même si ce pays est insuffisamment développé au sens capitaliste » 24 , cette « vérité indiscutable » va servir à Staline d'argument massue pour jeter bas toute la théorie trotskiste de la révolution permanente. Mais auparavant, Staline dut pour cela se faire « absoudre »des propos hérétiques qu'il avait tenus 9.uelques mois plus tôt sur l'impossibilité de réaliser le socialisme dans 23. J. Staline : Problime, du lbunisme, ~dition de 1952, p. 193. 24. Ibid., p. 90. Biblioteca Gino Bianco 15 un seul pays. A cet effet, il tenta de montrer qu'il n'avait jamais nié la possibilité d'établir « une société entièrement socialiste par les seules forces de notre pays et sans secours extérieur », mais qu'il s'était borné à affirmer que seule la révolution du prolétariat dans les pays capitalistes pouvait garantir le socialisme de !'U.R.S.S. contre tout danger extérieur, contre toute intervention ennemie. Le seul petit défaut que Staline consentait à reconnaître à sa première formulation, c'est« qu'elle confondait deux problèmes : celui de la possibilité d'instaurer le socialisme par les moyens d'un seul pays, à quoi l'on devait apporter une solution positive, et celui de savoir si un pays où règne la dictature du prolétariat peut, sans l'aide de la révolution victorieuse dans plusieurs autres pays, se considérer complètement à l'abri des interventions et par suite de la restauration de l'ordre ancien, question à laquelle il faut répondre par la négative » 26 • Mais cette tentative de Staline pour effacer ou camoufler sa position antérieure est vouée à l'échec. Bien loin de jamais confondre les deux problèmes, il avait catégoriquement déclaré qu'en toute hypothèse la réalisation du socialisme dans un seul pays, et à plus forte raison dans un pays agraire corn.ne la Russie, était impossible. Ayant aussitôt fait sienne cette vue nouvelle sur l'établissement du socialisme, Staline passe hardiment aux remontrances : La théorie universelle de la victoire simultanée de la révolution dans les principaux pays d'Europe et de l'impossibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays apparaît artificielle et sans rapport avec la vie. L'histoire de sept années de révolution prolétarienne en Russie [écrit en 1924] va contre cette théorie, laquelle contredit des fa1ts évidents. Elle est encore plus inacceptable comme mot d'ordre, car au lieu de laisser les coudées franches à certains pays qui seraient en mesure, du fait des conditions historiques, d'abattre pour leur propre compte le front du capital, elle bloque leur jaitiative. Loin de les encourager à exercer une pression active contre le capital, elle les fige dans l'attente passive du « dénouement général». Du haut de la nouvelle doctrine qu'échafaude ainsi Staline sur le socialisme dans un seul pays, il lui est désormais facile de montrer l'« abîme» qui sépare la théorie léniniste de celle de Trotski sur la révolution permanente : Lénine parle de l'union entre le prolétariat et les masses laborieuses des paysans; chez Trotski, au contraire, il est question de « conflits » entre « l'avantgarde prolétarienne et les masses paysannes >>. Lénine parle de la fonction dirigeante du prolétariat auprès des masses laborieuses ; Trotski insiste sur les « contradictions » auxquelles va se heurter le gouvernement ouvrier d'un pays arriéré, « où la population rurale constitue une majorité écrasante ». Pour Lénine, la révolution puise ses forces, avant tout, parmi les ouvriers et les paysans de la seule Russie. Pour Trotski, on ne trouvera l'énergie suffisante qu'« à l'échelle de la révolution prolétarienne mondiale ». Mais qu'adviendra-t-il 25. Ibid., p. 143.

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