Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

74 pays a-t-elle pour tâche essentielle de développer et de soutenir la révolution dans les autres. Aussi ne doitelle pas se considérer comme une grandeur indépendante, mais comme un auxiliaire,· un moyen d'accélérer la victoire du prolétariat dans les autres pays. La pensée de Staline est ici clairement expri- 6 mée : la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout rural comme la Russie, est impossible. La Russie, qui a supprimé le pouvoir de la bourgeoisie, ne joue qu'un rôle d'« appoint », de boutefeu de la révolution mondiale ; seules, la victoire et l'aide du «prolétariat » d'autres pays avancés lui permettront d'établir· 1e .socialisme. En avril, au moment où Staline prononçait ses conférences, parurent dans la Pravda, tirées des archives de Lénine, les «Notes d'un publiciste », rappelant une· « vérité élémentaire du marxisme », à savoir qQe «pour assurer la victoire du socialisme., il faut les efforts concertés des travailleurs de plusieurs pays avancés ». Staline répète ces paroles de Lénine, mais il ne lui vient pas à l'idée de se demander pourquoi Lénine, ayant écrit cet article en 1922, ne l'a pas publié. Qu'est-il donc arrivé entre-temps qui ait pu amener Staline et les autres membres du Politburo et du Comité central à corriger leurs vues ? Ils y ont été poussés par toute une série de circonstances, notamment par leur conflit avec Trotski. Vers la fin de l'automne de cette même année 1924, Trotski avait publié Les Leçons d'Octobre, écrit qui souleva l'indignation de ses collègues du Politburo et coûta à l'auteur son poste de président du Conseil militaire révolutionnaire et de chef des forces armées de !'U.R.S.S. Trotski démontrait qu'en octobre 1917 il fallut le knout de Lénine pour contraindre les dirigeants du Parti, apeurés, à passer à l'action, alors que lui, Trotski, théoricien de la « révolution permanente », avait joué dans les événements d'octobre un rôle de premier plan, véritablement révolutionnaire. Réfutant Trotski, Staline se devait de combattre également sa théorie de la révolution permanente, sorte de cuirasse qui le rendait invulnérable. Dans une brochure : La- Révolution d'Octobre et la tactique des communistes russes, datée du 17 décembre 1924, Staline entreprit la critique de la théorie trotskiste. Il y citait les passages suivants de Trotski : La révolution ne pourrait atteindre ses objectifs bourgeois immédiats qu'en portant-au pouvoir le prolétariat. Or lorsque celui-ci aurait pris en main le pouvoir, il ne pourrait se limiter au cadre bourgeois de la révolution. Au contraire, précisément pour assurer sa victoire, l'avant-garde prolétarienne devrait, dès les premiers jours de sa domination, opérer les incursions les plus profondes non seulement dans la propriété féodale, mais aussi bourgeoise. Ce faisant, elle entrerait en collisions hostiles, non seulement avec tous les groupements de la bourgeoisie qui l'auraient soutenue au début de sa lutte révolutionnaire, mais aussi avec les grandes masses de la paysannerie dont le concours l'aurait poussée au pouvoir. Les contradictions dominant la situation d'un gouvernement ouvrier dans un pays arriéré, où la majorité écrasante de la population est composée de paysans, pourront trouver leur solution uniquement sur le plan international, dans l'arène de la BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL révolution mondiale du prolétariat (Préface de L' Année 1905, écrite en 1922). Le fait que l'Etat ouvrier dans un seul pays, pays arriéré avec cela, ait résisté au monde entier, témoigne de la puissance colossale du prolétariat qui, dans les autres pays plus avancés, plus civilisés, sera capable d'accomplir de véritables prodiges.· Mais nous étant maintenus politiquement et militairement en tant qu'Etat, nous n'avons pas abouti à la création d'une société socialiste, nous ne nous en sommes même pas approchés (...). Le véritable essor de l'économie socialiste en Russie ne sera possible qu'après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d'Europe (Postface à la réédition de la brochure : Un programme de paix, écrite en 1922). Aucun pays ne doit « attendre » les autres dans sa lutte, voilà une idée élémentaire qu'il est utile et indispensable de répéter pour qu'à l'idée de l'action internationale parallèle ne soit pas substituée l'idée de l'inaction internationale expectante. Sans attendre les autres, nous commençons et continuons la lutte sur le terrain national, avec l'entière certitude que notre initiative donnera une impulsion à la lutte dans les autres pays; or, si cela ne devait pas se produire, il est inutile de penser - l'expérience historique et les considérations théoriques en font foi - que la Russie révolutionnaire, par exemple, puisse tenir, face à l'Europe conservatrice, ou que l'Allemagne socialiste puisse demeurer isolée dans le monde capitaliste. DANSCESCITATIONdSe Trotski, on ne relève aucune contradiction avec les idées de Lénine selon lesquelles « le paysan, le petit propriétaire, après la victoire de la révolution démocratique, se retourneront inévitablement contre le prolétariat». Le même Lénine affirmait encore que « la défaite du prolétariat russe serait inévitable si le prolétariat socialiste européen ne venait pas à son aide ». Pas de contradiction non plus entre Trotski et Staline ; en avril 1924, ce dernier se bornait à répéter ce qu'écrivait Trotski en 1922 : le socialisme dans un seul pays est « impossible ». Trotski pensait que le problème du socialisme ne pourrait trouver de solution « que dans la perspective de la révolution mondiale du prolétariat» ; cette même idée était reprise, sous une forme plus grossière, par Staline, lorsque celui-ci dis•aitque la révolution russe n'était que le « point d'appui » de la révolution mondiale. Mais comment Staline, pleinement d'accord, on le voit, avec ce Trotski qu'il détestait tant, pouvait-il dès lors attaquer sa théorie de la révolution permanente ? Par bonheur pour Staline et pour quelques autres, on procéda à ce qu'il nomme une « analyse rigoureuse des travaux de Lénine >> 22 , et dans • un ar~icle écrit en août 1915, on trouva le passage sü1vant : • , , L'inégalité du développement économique et politique est une loi absolue du capitalisme. Par suite, la victoire du socialisme est possible, pour commencer, dans quel22. Cf. J. Staline : Problèmes du léninisme, édition de 1933, p. 194; édition de 1952, p. n4. ,,

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