Le Contrat Social - anno IX - n. 2 - mar.-apr. 1965

N. VALENT/NOV CE N'EST PAS LA une analyse exhaustive de tout l'apport nouveau qui, en contradiction avec les vues antérieures de Lénine, est entré par fragments dans sa pensée. Toutefois, à partir de là, on entrevoit dans quel sens celle-ci se dirige désormais, tantôt hésitante, tantôt sinueuse. Parti de l'idée qu'il est impossible de réaliser le socialisme dans la seule Russie sans révolution socialiste mondiale, Lénine en vint à admettre la possibilité pour la Russie d'instaurer le socialisme « isolément», même compte tenu de l'environnement capitaliste. Il approchait déjà ce point de vue dans son article : « Sur la coopération », dicté les 4 et 6 janvier 1923, alors qu'il surmontait une deuxième crise de paralysie qui l'avait frappé le 16 décembre 1922. La substance de cet article déborde largement l'énoncé du titre ; l'exposé (et plus encore dans les autres articles de 1923) en est quelque peu heurté. Lénine, la main droite paralysée, ne pouvait écrire, mais seulement dicter ; il y arrivait mal et s'y résignait difficilement. Les médecins lui avaient d'abord permis de dicter pendant cinq à dix minutes par jour ; plus tard, on lui accorda jusqu'à trente minutes. Désirant, dans le temps assez bref dont il disposait, dicter et parler le plus possible, très gêné de devoir parfois faire attendre longtemps la secrétaire, Lénine se pressait et, dans sa hâte, ne trouvait pas toujours de formulation suffisamment précise de sa pensée. En outre, il souffrait de névralgies aiguës, pendant lesquelles, la tête bandée, il n'en continuait pas moins de dicter ; il éprouvait une passion presque pathologique d'écrire, de coucher sur le papier toutes ses idées, de vouloir diriger le Parti sur la bonne voie, lui donner absolument des « directives » et rédiger des instructions. En dépit d'une forme plus ou moins heureuse, l'article « Sur la coopération » est néanmoins parfaitement clair. Lénine, admettant désormais que les puissances capitalistes vont donner un « répit » à la Russie, se demande si celle-ci pourra établir et parachever le socialisme. Quelle sont pour cela les conditions essentielles requises et déjà réalisées ? Lénine les énumère: 1. Le pouvoir d'Etat en Russie est aux mains de la classe ouvrière, ou, à proprement parler, du parti communiste tout-puissant, qui ne partage ce pouvoir avec personne. 2. La terre et la plupart des principaux moyens de production sont socialisés ; ils appartiennent à l'Etat ouvrier, et cela signifie que les entreprises d'Etat sont des entreprises « de type socialiste conséquent ». 3. En Russie, l'union du prolétariat avec les millions de petits paysans les plus déshérités est désormais réalisée, et dans cette union le prolétariat est « assuré » de se voir confier le rôle dirigeant. 4. Enfin la coopération. Mais ici quelques explications sont nécessaires. La révolution d'Octobre, aprèsavoiranéanti le Biblioteca Gino Bianco 71 réseau commercial privé, l'avait remplacé par « l'organisation, par voie de contrainte, de toute la population en sociétés de consommation ». Après toutes sortes d'expériences malheureuses, le gouvernement en vint à restaurer les coopératives libres qui existaient avant la guerre ; il fit complètement disparaître l'esprit réellement coopératif, en les adaptant au communisme de guerre et en les transf armant en une organisation purement étatique travaillant avec le concours de l'ancien personnel des coopératives. « La situation des coopératives, expliquait Lénine en mars 1918, est radicalement modifiée dès l'instant où le pouvoir prolétarien entreprend l'établissement systématique de l'ordre socialiste. Dans une société capitaliste, la coopérative n'est qu'une boutique. Mais une coopérative étendue à toute la société et où les terres sont socialisées, les fabriques et les usines nationalisées : voilà le socialisme. La mission du pouvoir soviétique, après avoir exproprié politiquement et économiquement la bourgeoisie, consiste à étendre les organisations coopératives à la société tout entière, à transformer tous les citoyens en membres d'une coopérative unique à l'échelle de la nation ou plus exactement de l'Etat tout entier 17 • » Avec l'introduction de la nep, la coopération telle qu'elle existait à l'époque du communisme de guerre devait subir de profondes modifications. Une fois admis le commerce privé, la coopération ne pouvait plus désormais se présenter comme une organisation d'Etat unique, détenant le monopole de la distribution des biens. En 1921, Lénine ne sait·pas encore très bien comment, sous le régime de la nep, doit être organisé le commerce, et de quelle nature seront les rapports entre le commerce privé et la coopération. Au Congrès du Parti, en mars, il déclare : Sur quel principe vont être créés les nouveaux rapports commerciaux désormais libres : coopération ou restauration~ petit commerce privé ? Nous ne pouvons guère, aujourd'hui, le préciser définitivement. Il nous faudra à cet égard tenir compte avec soin des expérience locales. Je pense cependant que la coopération finira par l'emporter 18 • Un mois plus tard, dans sa brochure : L'impôt en nature, Lénine se prononce catégoriquement pour la coopération. Il montre notamment que si, dans les campagnes, la coopération, avec la semiliberté apportée par la nep, engendre inévitablement « des rapports· petits-bourgeois et capitalistes ,>, ce « capitalisme de coopération, toutefois, ne nous effraie pas ; il est même avantageux pour nous : il facilite à l'Etat la comptabilité, le contrôle, la surveillance, les rapports contractuels». « La coopération, en tant que système commercial, est plus· avantageuse et plus utile que le commerce privé, non seulement pour les raisons ci-dessus, mais aussi parce qu'elle facilite l'union, l'organisation de millions de consommateurs, puis de toute la population, et c'est là un énorme pas en 17. Œuvres, t. 27, p. 189. 18. Id., t. 32, p. 206. ,

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