Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

B. SOUV ARINE opuscule édité à la gloire de Khrouchtchev trois mois avant sa «démission », bourré d'hommages dithyrambiques et de louanges délirantes, comporte les noms de Brejnev, de Mikoïan, de Souslov, de Kossyguine parmi les apologistes, les noms de tous les acteurs du mélodrame dont le héros est sorti déchu et pitoyable : seul manque celui de Kozlov 3 • On pourrait accumuler une longue série de manifestations du «culte » de la deuxième « personnalité » issue de la puissance des ténèbres soviétiques. S'ensuit-il que la direction collective soit une vue de l'esprit ou une illusion d'optique· à distance? L'incompatibilité n'est soutenable qu'en transposant sur le plan communiste actuel une logique de pure forme élaborée dans un autre monde. Du vivant de Lénine, le Parti et l'Etat ont eu réellement une direction collective, laquelle a continué en se transformant au cours des années où Staline a patiemment éliminé, puis assassiné, tous les communistes éventuellement capables de faire obstacle à son ambition personnelle et à son entente avec Hitler. Il n'est pas vrai que Lénine ait jamais joui d'un pouvoir exclusif ni que Staline en ait hérité ; il faut ignorer l'histoire de ce parti «à nul autre pareil» pour le prétendre. A travers maintes vicissitudes, l'équipe dirigeante n'a été « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre », reconduisant un noyau stable qui conserveet transmet des caractéristiques essentielles, mixture de dogmatisme et d'opportunisme étrangère aux idées reçues de droite et de gauche, de libéralisme et d'intransigeance, dont se nourrissent tant de politiciens, de diplomates et de publicistes des deux côtés de l'Atlantique. La vérité se lit, persuasive, remarquablement argumentée, dans un article de Jean Vineuil,« Les hommes de Moscou» (Preuves, n° 167, de janvier), qui mériterait la plus large audience. «Alternance et diversité des individus, permanence et unité de groupe : avec les années, l'impression se fortifie qu'à Moscou les hommes changent, mais le Parti reste, et qu'en fin de compte tous ces visages d'hommes au balcon de l'histoire, c'est toujours un seul et même visage, celui du Parti», écrit Jean Vineuil. «Le pouvoir n'a de comptes à rendre qu'à lui-même », poursuit-il, et « la collégialitédu pouvoir n'est l'as un vain mot ». Par conséquent,« il serait sage( ...) de ne pas oublier que les décisions se forgent dans un cercle extrêmement restreint et pratiquement libre d'opérer dans le secret les manœuvres les plus brutales et, en raison de leurs apparentes contradictions avec la réalité ambiante, les plus surprenantes ». 3. Pour concerter le petit complot qui mit fin à la carri~re de Khrouchtchev, il fallait un coordinateur sOr des affidés : plusieurs sources s&-icuses désignent Kozlov comme ayant assumé ce r61e, de sa retraite de malade où il recevait des viaitet non 1uapcctes. Cela n'a rien d'invraisemblable, encore que nul ne pui11e en r~ondre actuellement avec certitude, et vaut bien la version imaginée par des journalistesprivés d'information qui attribuent à Souslov l'action majeure dana çene affaire obscure. Biblioteca Gino Bianco 3 De manières différentes, Staline et Khrouchtchev ont tranché sur la grisaille du PolitburoPrésidium, l'un par la cruauté, l'autre par le bagout, mais le niveau intellectuel et moral comme l' étroitesse du credo politique de l'équipe dirigeante depuis l'extermination des opposants sont des données constantes pour longtemps encore. Une intense propagande charlatanesque a monstrueusement grandi la taille apparente d'un Staline, la presse bourgeoise a démesurément exagéré l'envergure d'un Khrouchtchev comme elle s'efforce, en pure perte jusqu'à présent, de rendre intéressants Brejnev et Kossyguine : cela ne sert qu'à égarer l'opinion publique et à désorienter les leaders politiques dans les pays que le despotisme oriental ne renonce pas à conquérir de l'intérieur. Il est ridicule de prendre pour des marxistes accessibles aux sermons christiano-démocratiques les parvenus du stalinisme dont tout le bagage doctrinal se résume en résumés de résumés mal digérés par les auteurs de leur catéchisme. Ces primaires endurcis au pouvoir n'évoluent que lentement sous la pression de circonstances indépendantes de leur volonté, et des forces sociales engendrées par les exigences de l'économie et de la technique en croissance. Beaucoup de temps doit s'écouler avant que n'apparaissent au premier plan, à Moscou, des individus capables de se soustraire aux dogmes en vigueur et de mériter l'appellation flatteuse de révisionnistes. Aussi l'attitude des hommes publics qui, en Occident, ont presque pris le deuil en apprenant l'infortune de Khrouchtchev est-elle aussi dérisoire que grotesque. A la vérité, il ne s'agissait là que d'une péripétie mineure sans influence sur le cours de l'histoire, mais d'une péripétie plutôt heureuse en ce sens qu'elle contribue à la dépersonnalisation du pouvoir soviétique, donc au progrès de la conscience civique dans les jeunes générations que le pseudo-culte de la personnalité abrutirait, comme ont été abruties les générations vieillissantes, si rien n'était intervenu pour interrompre cette forme captieuse d'obscurantisme. Après le discrédit dont Staline est frappé et la déconsidération qui atteint Khrouchtchev, il ne sera pas facile en pays soviétique de faire passer Brejnev pour un aigle, si puissante que soit la machine communiste à façonner les âmes crédules. Les mornes fonctionnaires du Kremlin qui ont gravi peu à peu tous les degrés de l'échelle étatique pour arriver jusqu'au sommet, à force de soumission et d'entregent, n'apportent rien d'original, que l'on sache, promettant d'influer sur les perspectives dont l'humanité s'inquiète. Au lieu de se demander uniquement et constamment ce que prépare sans cesse un ennemi implacable, les « ~rinces qui nous gouvernent »feraient doncmieux d imaginer ce qu'ils pourraient faire eux-mêmes pour dépasser leur position précaire de défense passive. B. SouvAJUNE.

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