Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

CHRONIQUE l'aveuglement de ses adversaires qui ont toléré son camouflage patriotique ; il bénéficie encore de la déliquescence de la démocratie chrétienne et de la corruption qui sévit chez les socialistes autant que dans les institutions bourgeoises. Avec un quart du corps électoral sous son influence, il domine des milliers de municipalités dont il manie à son propre usage les fonds publics, auxquels s'ajoutent les grandes ressources financières des syndicats et des coopératives qu'il dirige, sans parler des revenus substantiels que lui procurent les entreprises commerciales qui trafiquent avec les Etats communistes. Il pourrait donc éventuellement se dispenser d'aide soviétique et l'on comprend que ses avantages l'autorisent à un minimum de franc-parler, dans les limites permises. Sa situation d'Etat dans l'Etat, qui peut prétendre à « conquérir des positions de pouvoir » par des voies pacifiques, se reflète dans le verbiage du mémorandum tapageur qui a fait couler tant d'encre inutile. L'oligarchie soviétique a dû avouer que le monde à étiquette communiste a subi pendant un quart de siècle la tyrannie d'un détraqué dont elle ne révèle depuis dix ans les effets qu'à· contrecœur et au compte-gouttes. La bourgeoisie masochiste d'Occident n'en veut rien croire, ou du moins se comporte comme si ce n'était pas croyable, mais les initiés du prétendu « camp socialiste» n'ont aucune illusion et, pour eux, c'en est fini du prestige factice qui les a subjugués si longtemps. Entre pays et partis pseudo-communistes, tout se ramène désormais à des questions pratiques, à des affaires poµtico-économiques, à des relations defacto imposées par le cours de l'histoire, tandis que l'idéologie ne subsiste que comme un relent du passé, dans la mesure où il y aurait plus d'inconvénients que d'avantages à s'en défaire. Les événements ayant justifié avec éclat la sécession yougoslave, la dénonciation publique du «groupe antiparti' » flétri comme clique de gredins ayant contribué au discrédit des détenteurs de la doctrine, il ne manquait plus que les cascades de vitupérations chinoises et albanaises pour achever de déconsidérer l'indigne progéniture politique de Lénine. Tant et si bien que même la Roumanie peut se permettre des attitudes particulières. A plus forte raison un Togliatti, sur le papier de son mémorandum. Même la Roumanie : il faut avoir séjourné en Russie, surtout dans le sud-ouest, pour savoir en quel mépris le Russe et !'Ukrainien tiennent le Roumain et pour comprendre pleinement les implications des velléités d'autonomie que la Roumanie ose manifester. Loin d'atténuer le nationalisme et le chauvinisme grand-russes, le « marxisme-léninisme » oriental les a portés sous Staline au paroxysme, en sorte qu'il ne se différencie plus guère du « national-socialisme » d'Hitler. Dans ces condi• tions, on imagine sans effort ce qu'éprouvent les gens du Kremlin, ivres de leur puissance et conscients de leun faiblesses,devantlespetitesmanœuvres d'émancipation roumaines, si prudentes soient-elles. Mais les grands spécialistes.des Biblioteca Gino Bianco 57 «contradictions capitalistes » sont empêtrés dans leurs propres contridictions insolubles et ne savent trop comment remettre au pas un partenaire minuscule et insaisissable. Il se trouve que la Roumanie n'a pas besoin de céréales soviétiques ; elle en a même fourni 400.000 tonnes à !'U.R.S.S. l'année dernière. Faute d'une équipe de rechange pour s'aligner sur Moscou à Bucarest, où le racisme local s'oppose avec succès au racisme extérieur, Brejnev pas plus que Khrouchtchev ne dispose d'autre moyen de pression éventuelle sur le satellite récalcitrant que celui d'une intervention militaire, laquelle ne ferait qu'aggraver le gâchis dans leur «camp» déjà travaillé de forces centrifuges. En définitive, il ne reste qu'à faire de nécessité vertu et qu'à tolérer l'inévitable, cependant que la Pologne et la Tchécoslovaquie s'inspirent de l'expérience roumaine pour chercher à leur tour, du côté du «capitalisme pourrissant », des solutions empiriques à leurs problèmes économiques inextricables. Processus spontané, contraire aux prévisions des augures de l'idéologie officielle, et qu'aucun Togliatti n'a incité ni aidé à s'accomplir. A part les inepties et les mensonges dont le mémorandum italien se compose dans un sabir ennuyeux au possible, il y a aussi des truismes compliqués d'incohérence énorme, comme ce couplet final : « Le sentiment national reste une donnée constante dans le mouvement ouvrier et socialiste pendant une phase assez longue même après la prise du pouvoir. Les progrès économiques ne détruisent pas ce sentiment, ils l'alimentent.» Et un peu plus loin : « L'unité doit s'établir et ~e maintenir dans la diversité et la pleine autonorme des différents pays.» Ainsi, Togliatti découvrait le sentiment national en 1964, faisant œuvre de pionnier, sans doute; ce sentiment va durer pendant une phase «assez longue » ; les progrès économiques doivent l'alimenter, donc le perpétuer très au-delà d'une phase « assez longue », si les mots ont un sens. « L'unité dans la diversité », autant dire que le cercle est carré ou que le fiscdoit demander davantage à l'impôt et moins au contribuable. Quant à la «pleine autonomie »des différents pays, on l'a vue en Hongrie, bien assurée par les tanks soviétiques aux acclamations des «révisionnistes » mêlées à celles des «orthodoxes». Voilà pourtant devant quoi s'extasie la soviétologie occidentale. Dans la soi-disant «patrie du socialisme», l'accueil réservé audit mémorandum donne de sa valeur intellectuelle et politique une mesure plus exacte que dans l' « enfer capitaliste » : la Pravda l'a imprimé, pour ne pas s'exposer au reproche de le tenir sous le boisseau, mais sans daigner lui accorder le moindre commentaire. Les dirigeants du Parti n'en ont tenu aucun compte, sachant qu'il tomberait dans l'indifférence générale, et ils ont purement et simplement passé outre aux suggestions et recommandations emberlificotées de celui que Khrouchtchev, deux semaines plus tôt, qualifiait d' « un des animateurs les plus éminents du mouvement communiste mondial». . . · . .--

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