Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

56 sentatif de toute la presse bourgeoise qui flagorne les communistes.) Ainsi, sur le conflit logomachique entre Moscou et Pékin: «Mener cette polémique, à la différence des Chinois, sans outrances verbales et sans condamnations génériques [ ?], mais sur des arguments concrets, de façon objective et toujours avec un certain respect pour l'adversaire. » Qui peut sérieusement prêter attention à de telles platitudes ? Sermonner poliment les Chinois (et les Albanais, ces parangons de courtoisie), argumenter avec douceur et en toute objectivité, respecter l'adversaire (qui vous couvre d'injures et d'ordures), bref, prendre modèle sur la Chambre des Lords, telle serait la bonne méthode pour «renforcer l'unité communiste ». On se demande seulement ce qui a empêché Togliatti d'arranger les choses en prêchant d'exemple. Et quels résultats sont dus à l'aménité dont Khrouchtchev et ses successeurs n'ont cessé de faire preuve envers leurs terribles censeurs. En tout cas, il n'y a pas de quoi béer d'enthousiasme. Ainsi encore, à propos de la conquête pacifique du pouvoir : «La question se pose de la possibilité, pour les classes laborieuses, de conquérir des positions de pouvoir dans le cadre d'un Etat qui n'a pas changé sa nature d'Etat bourgeois, et de la possibilité de lutter pour une transformation progressive, de l'intérieur, de cette nature d'Etat bourgeois. » On a déjà lu, mais beaucoup mieux dites, des choses de ce genre, depuis le début du siècle. Et même avant, car dans un fameux discours à La Haye, en 1872, Marx discernait plusieurs pays « où les travailleurs peuvent arriver à leurs fins par des voies pacifiques». Engels renchérissait en 1891, au sujet du programme d'Erfurt : « On peut concevoir que l'ancienne société puisse se transformer pacifiquement en la nouvelle société dans des pays où la représentation populaire concentre en elle tout le pouvoir ... » Khrouchtchev a refait cette découverte dans son rapport au XXe Congrès (1956), mais pourquoi les scribes qui le lui ont rédigé,_ ce rapport, ne se sont-ils pas référés à Marx et à Engels ? Evidemment parce que Kautsky s'étant servi de cet argument, Lénine en avait tenté la réfutation, assez piteuse. Il n'est pas tous les jours commode d'être simultanément «marxiste» et «léniniste » à la mode de Moscou et de Pékin. Mais encore une fois, quel intérêt ce mémorandum fastidieux offre-t-il ? Il n'est même pas facile d'y prélever des échantillons, tellement ce salmigondis de clichés, de banalités, de formules rebattues, marinant dans un • A • Jargon opaque et compact, se prete peu aux citations et rebute l'analyste le plus intrépide. Tous les slogans délavés de la propagande communiste s'y succèdent, depuis la main tendue aux catholiques jusqu'à la «lutte contre l'impérialisme et le colonialisme». La seule idée à en retenir, que nous avions exprimée ici bien avant Togliatti et devenue monnaie cour.ante, c'est que la conférence internationale voulue par les <;lirigean~s~oviétj,ques;plusieurs fois_ différée ..so.us l{hrouchtchev,~ puis.. sous ·.Brejnev~ BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL n'a aucun sens et n'avancera personne à rien. Ce qui n'empêchera nullement les togliattistes d'y participer quand elle se tiendra, Moscou n'accordant pas audit mémorandum la considération que « l'Occident pourri » lui témoigne. Outre ce factum filandreux qui atteste la médiocrité frappante de son auteur, Togliatti a un autre titre à l'admiration de la bourgeoisie faisandée qui l'honore, en Italie et ailleurs, à savoir l'invention du cc polycentrisme». Jusqu'à présent, on pensait qu'un centre est le point situé à égale distance de tous les points d'une circonférence, ou par lequel toute droite joignant deux côtés opposés d'une figure géométrique se trouve divisée en parties égales ; ou, ce qui est vers le milieu d'une étendue quelconque; ou, par analogie, le lieu où convergent des forces, des actions diverses*. Le sens par analogie s'applique précisément à une organisation humaine, sur le plan politique. Or il ne s'agit plus maintenant de converger, mais de diverger ... Autrement dit, le sens devient un non-sens et la multiplicité des centres équivaut à la négation de la notion même de centre, ce qui vide le «polycentrisme » de toute acception acceptable. A noter que Togliatti avait renoncé à son hideux néologisme, mais ses admirateurs bourgeois insistent et persistent. Ils se permettent même d'enrichir indûment sa biographie, tout en l'appauvrissant des chapitres qui devraient relater sa participation aux crimes de Staline. Ceux du Monde, entre autres, veulent à toute force que Togliatti soit le fondateur du parti communiste italien. Mensonge éhonté, un de plus, car il ne fut même pas membre du Comité central en 1921, il n'accéda au Comité exécutif qu'en 1923, et il est facile de constater, en se reportant à la documentation authentique, que Bordiga, Serrati, Gennari, Tasca et d'autres furent les réels fondateurs du parti. Dans la Grande Encyclopédie Soviétique (1re éd.), Togliatti n'existe pas, alors que Bordiga occupe toute une colonne et a son portrait. Dans la Petite EncyclopédieSoviétique (1re éd. aussi), Togliatti est expédié en six lignes, Bordiga ayant droit à quarante-trois. C'est après l'exclusion de Zinoviev, de Piatnitski, de Radek, que Togli~tti entre au Présidium de l'Internationale (en 1928) et c'est en contribuant à l'exclusion de Boukharine (en 1929) qu'il devient un séide de Staline. Après quoi il fera carrière en marchant sur les cadavres, au sens figuré d'abord, au sens propre ensuite, de ses anciens camarades. Avec ou sans Togliatti, le parti communiste italien a profité et profite encore de circonstances qui lui assurent un présent et un avenir prospères, donc une indépendance relative vis-à-vis de Moscou depuis que les dirigeants soviétiques se sont résignés à admettre une certaine marge de divergences secondaires entre eux et leurs auxiliaires, pourvu que l'essentiel ne soit pas remis en cause. Il a bénéficié de l'écroulement du fascisme et de •. Dictionnaire général de la langue française, par A. Hatzfeld et A.· Darmesteter. Paris-, s.d.

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