2 létariat »consiste en la pire exploitation de l'homme · par l'homme et en oppression éhontée du prolétariat par les parvenus de la nouvelle classe dominante. Le «réalisme socialiste» désigne quelque chose de bourgeois et d'irréel. Et ainsi de suite. Il n'est donc pas singulier que la direction collective à Moscou ne ressemble guère à l'idée que s'en font les profanes. Elle existe pourtant à sa manière, indéfinissable en termes rationnels. Personne ne dispose d'une règle à calculer la part personnelle de Khrouchtchev dans les décisions collectives d'hier et la part de ses collègues, voire celle des services compétents dont le Premier secrétaire se faisait le porte-parole en public, mais cela ne tire pas tellement à conséquence. Il y eut sans nul doute des cas où Khrouchtchev prenait des initiatives, ensuite entérinées par ses pairs, d'autres où il devenait l'interprète de résolutions prises à la majorité au Présidium, même contre son avis, mais pour l'essentiel il a été nécessairement pendant une dizaine d'années l'expression du Parti omnipotent, étant entendu que ce parti est comme une armée obéissant à des supérieurs hiérarchiques de la base au sommet, lequel se recrute par cooptation. Il y eut des cas aussi où Khrouchtchev, grisé par le vin du pouvoir, a dû abuser de ses titres et fonctions, se croyant assuré du soutien final de sa majorité fidèle au Comité central. D'ailleurs il ne se trompait pas sur ce point, comme le prouve la conspiration ourdie pour le déposséder du Secrétariat. Il ne s'est trompé pour une fois que par excès de confiance en la loyauté du petit cercle dirigeant à son égard. En effet de multiples indices ont montré qu'il a fallu mettre un Comité central sélectionné devant le fait presque accompli pour mener l'opération à coup sûr : un bon nombre de ses membres étaient absents, les uns envoyés en mission, d'autres non convoqués, quand la direction du Parti profita du congé de Khrouchtchev pour le destituer. Alors que le Secrétariat réunissait naguère un Comité central démesurément« élargi» pour y submerger le noyau principal des dirigeants, ceux-ci ont eu besoin d'un Comité central quelque peu« rétréci» pour simuler la démission exigée en haut lieu. Une analyse minutieuse et probante des circonstances de cet événement, avec pointage des présences et des absences à l'appui, publiée par l'Institut pour l'étude de l'U.R.S.S.1, confirme sous ce rapport les hypothèses de nos précédents articles traitant du même sujet dans le Contrat social. Devant un Comité central régulièrement rassemblé en séance plénière à une date fixée d'avance, Khrouchtchev aurait eu toute chance de se tirer d'embarras, cela ressort des précautio.ns pi;ises pour le coincer par surprise. Singulière direction collective, certes, que celle où intervient un~ décision majeure au mépris de délibérations normales, 1. « The Technique of the Palace Revolution », par Piotr Kroujine, dans le Bulletin de cet Institut, n° 12, de décembre 1964, Munich. Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL mais de même qu'il y a fagot et fagot, il y a direc- ·tion collective et direction collective. Celle du Kremlin s'accommod~ volontiers des pires entorses à la règle du jeu ; mais personne ne propose d'accorder un prix de vertu à ses membres. Après le discours secret de Khrouchtchev au xx.e Congrès de son parti, l'inadéquation du langage a inspiré entre autres le vocable de «déstalinisation » qui, pris à la lettre, devient gros d'illusions et de malentendus. 11 faudrait évidemment l'entendre dans un sens très relatif et avec bien des réserves implicites, sans perdre de vue ce qui se perpétue de stalinisme sous l'enseigne trompeuse du marxisme-léninisme. Nul ne songe à nier que la cessationdes.tueriesà tout bout de champ et des déportations en masse ou individuelles à tout propos ne soit un progrès par rapport aux pratiques courantes de Staline ; cela n'empêche nullement un stalinisme invétéré de subsister sous la déstalinisation prudemment mesurée des épigones. Le mensonge qui sature tout ce qui est soviétique et tout ce qui se réclame du marxismeléninisme prolonge incontestablement le stalinisme. Egalement le renvoi de Khrouchtchev à l'improviste et à l'insu du public, à l'insu même du Parti, sans motivation plausible post factum, sans considération non plus de l'effet produit à l' extérieur. Egalement la saisie récente du premier tome de la nouvelle et définitive Histoire du Parti ·en six volumes, fraîchement sorti des presses en octobre, et simplement parce que le nom de Khrou- .chtchev y figure dans la préface. Quantité d'exem- _ples de ce genre attesteraient que stalinisme et déstalinisation coexistent en dépit de la sémantique. LA DIRECTION COLLECTIVE ou collégialetelle que les con1munistesla conçoivent n'exclut pas les mauvais coups entre individus qui la composent si «l'intérêt du Parti» l'exige, c'est-à-dire l'intérêt selon ceux qui ont les moyens de prétendre l'incarner. Jusqu'à ces derniers temps, elle n'était pas jugée incompatible avec. la prééminence abusiye ·-du Premier secrétaire vers qui montait l'encens des éloges et des flatteries de plus en plus enivrant pour le destinataire, lequel. n'en répudiait pas moins le «culte de la per~onnalité », s~uf de ia .sienne, autre inconséquence du vocabulaire. Illustration frappante de cet état des choses, le tout récent recueil moscovite d' «aphorismes, pensées, maximes, paroles mémorables » où .des phrases banales de Khrouchtchev sur n'importe quel thème figurent aussitôt après des citations de Marx, ·d'Engels et de Lénine, bien avant celles de Shakespeare, de Gœthe et de Tolstoï 2 • L'opuscule que mentionnait l'article «Exit Khrouchtchev » dans notre avant-dernier numéro de la présente revue, 2. Oumnoié Slovo. (Moscou), Moskovski rabotchi, 1964, 336 pp.
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