Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

50 que, sès vicomtes ayant participé à la reconquête jusqu'au x111e siècle 2 • Or le Béarn était également un pays pastoral dont les troupeaux transhumaient des deux côtés des Pyrénées. En dehors des affinités ethniques, l'identité économique était certaine. Il y a plus. Tucoo-Chala souligne qu' « en France les pays situés au sud de la Garonne ont moins subi l'emprise de la féodalité que les pays s'étendant au nord de la Loire» 3 • La faiblesse de l'implantation féodale est également vraie pour l'Espagne chrétienne, laquelle mit sans doute longtemps à dépasser le stade proto-féodal. On peut supposer que, comme au Béarn et en Gascogne, la féodalité y fit des progrès tardifs au x111e et au x1ve siècle, à une époque où ailleurs elle avait atteint son apogée et même commençait à décliner. A cette évolution de l'Espagne, comparons celle de la Russie. La Russie kiévienne et prémongole, comme l'Espagne prémauresque, appartenait au monde proto-féodal. A une différence près cependant. Cette zone marginale de la société féodale n'avait pas été soumise à l'Empire romain et, de ce fait, la domination des Varègues s'était exercée sur une société tribale. Ces Scandinaves n'imposèrent pas le système de tenure en vigueur en Europe occidentale et ils laissèrent subsister des usages asiatiques, ceux des Khazars, prédécesseurs des Varègues, notamment en matière fiscale.D'autre part, l'influence directe de Byzance se fit sentir de bonne heure, le christianisme oriental ayant été adopté. Les prêtres grecs, venus en Russie avec des principes de domination théocratique, contribuèrent à établir la puissance du prince. De toute façon, celui-ci aurait pu renforcer son autorité grâce à la loi byzantine. En 1240, les Tatars écrasèrent les Slaves d'Orient et tinrent leurs nouveaux sujets sous une étroite domination. Cependant, la différence avec l'Espagne est patente : les Tatars ne s'identifient pas aux Maures et n'apportèrent en Russie ni l'algèbre ni Aristote. Au contraire, les conséquences politiques peuvent être mises en parallèle. Les Mongols appliquèrent en Russie les méthodes de gouvernement despotiques qu'ils avaient empruntées à différents pays hydrauliques d'Asie, en particulier à la Chine. On voit donc, et ceci est très important, que le despotisme oriental et hydraulique ne s'est pas exercé directement, comme en Espagne, par l'extension d'un type d'agriculture, mais un peu, à l'instar de l'Empire romain, par contamination. Il peut néanmoins sembler contradictoire que des nomades, ennemis traditionnels des sédentaires, aient diffusé si loin de leur pays d'origine des formes de civilisation qu'ils auraient empruntées et qui étaient étrangères à leur tempérament. Cependant, pour Wittfogel, nomadism~ pastoral et despotisme agraire ne sont pas incompatibles. Il indique par exemple, à la suite de Klioutchevski (pp. 305-309), 2. La Vicomté de Béarn et le problème de sa souveraineté. Bordeaux 1961, Bière édit. 3· Op. cit., p. IO, B-ibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL qu'en Russie ce sont les Mongols qui instaurèrent le système de taxation et investirent le prince de Moscou de l'autorité de collecteur des impôts, donc de chef plénipotentiaire et d'arbitre des autres princes russes. Ce sont encore les Tatars qui, les premiers, procédèrent au recensement général du peuple russe, selon des méthodes qui devaient être employées aux xv1e et xvue siècles. Car, à la différence de l'Espagne, la Russie se trouva définitivement engagée dans la voie de l'étatisme despotique fondé sur le « service d'Etat », avec les conséquences que l'on sait. En Moscovie, aucune force interne ne poursuivit, pendant plus de deux siècles d'occupation, une lutte ouverte et organisée contre la Horde. Lorsque, en 1480, Ivan III refusa de se reconnaître vassal des Tatars déjà affaiblis, il évita tout heurt militaire. Ses adversaires firent de même et c'est dans l'indécision réciproque qu'au bout de 240 années leur domination prit fin. " Si l'on admet avec l'auteur que ce sont des formes de despotisme hydraulique que les Tatars nomades ont imposées à la Russie, on admettra du même coup que, faute d'une Reconquista par une société pastorale et (proto-) féodale, c'est-à-dire nettement différenciée, ce pays n'a pas connu une véritable solution de continuité politicosociale. En conséquence, le despotisme russe, influencé par l'Orient, se distingue nettement de l'absolutisme occidental qui s'est développé sur le tronc féodal. EN OccIDENT,la concentration des pouvoirs entre les mains du monarque n'a pas supprimé les libertés locales. Ici, le souverain est au sommet d'une pyramide dont on peut percevoir les éléments stratifiés. Jusqu'en 1789, en dépit de Richelieu et de Colbert, la France a connu cet état de choses, si bien qu'un historien comme G. Peyronnet a pu soutenir que dans une bonne partie du royaume existait un régime qu'il qualifie de «fédéral» 4 • On pourrait même ajouter, à titre d'exemple, que l'hérédité des charges, condamnée par l'histoire officielle, a été un facteur d.' enracinement, donc de décentralisation 5 • Et pourtant des formes orientales sont apparues dans la monarchie absolue. Parmi elles, une est incontestable; elle remonte d'ailleurs à l'époque féodale et tient à la diffusion du droit romain (plus précisément de l'empereur d'Orient Justinien). D'autres ne sont que pseudo-orientales; nous pensons en particulier à la notion du droit divin des rois, dont on ne trouve pas trace chez Wittfogçl. Celle-ci, esquissée par les Tudors, est arrivée à maturité sous les Stuarts. Ne voyait-oh pas, pendant la guerre civile, les « Cavaliers », 4. La Psychologie des peuples latins dans une optique européenne. Conférence« Aux amis de langue d'oc», 23 novembre 1956. 5. G. Pagès : La Monarchie d' Ancien Régime en France, d'Henri IV à Louis XIV. Paris 1926, Libr. Armand Colin.

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