Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

QUELQUES LIVRES MAis Le Despotismeoriental est aussi, surtout jusqu'aux temps modernes, jusqu'à l'ère industrielle, pour l'historien, le sociologue, le géographe, une étude comparative. Celle-ci couvre, entre autres, l'Egypte et la Mésopotamie, l'Inde et la Chine, ce qui justifie l'adjectif « oriental », mais encore diverses contrées du Nouveau Monde, Mexique et Pérou notamme~t. Pour les besoins de la classification, l'auteur est amené à distinguer les zones hydrauliques centrales, marginales et submarginales, suivant le degré de despotisme de l'empire. La zone submarginale est la plus intéressao.te, justement parce qu'elle n'est pas immuable. Un certain nombre de nations appartenant à cette frange et qui ont occupé un rôle de premier plan, ont évolué de façon différente, voire dans des directions opposées. Deux pays classés ainsi par Wittfogel vont d'abord retenir l'attention : l'Espagne et la Russie. La péninsule ibérique avait été romanisée ; elle avait vécu socialement et politiquement les phases d'hellénisation successives de la République d'abord, de l'Empire ensuite. L'hellénisation de Rome, autrement dit son orientalisation au contact du ·monde hellénistique, a en effet commencé 200 ans avant notre ère, au moment où les Romains occupant la Sicile se trouvèrent pour la première fois en contact avec « le système juridique, subtil et complexe, d'un Etat essentiellement agraire organisé selon les modèles égyptien et hellénistique» (Rostovtsev, cité par K. W., p. 291). A la suite de cette conquête, l'Etat romain était devenu, selon la lex hieronica, le détenteur du pouvoir absolu et le propriétaire de la totalité des terres. Néanmoins, Rome qui pour un temps avait dominé un immense empire hellénistique sans être elle-même hydraulique, ne résista pas au processus de transformation politique qui lui était imposé. Auguste fut non seulement celui qui poussa dans la tombe les anciennes puissances sociales, mais encore l'initiateur d'un nouveau système administratif. Son Etat, tout en faisant appel aux valeurs traditionnelles, fut en réalité modelé sur l'Orient hellénistique. La bureaucratie prit rapidement de l'importance au cours du premier siècle de notre ère. Plus tard, avec Septime Sévère, « l'empereur sémite » qui méprisait l'Italie, le pouvoir despotique devint le possesseur de la plus grande partie des terres arables de l'Empire. L' orientalisation fut parachevée lorsque Dioclétien imposa une cour de type manifestement asiatique. En 476, Odoacre mit officiellement fin en Occident à l'absolutisme épuisé de l'Empire romain. Dans le cas de l'Espagne, détachée de Rome depuis 415, comme dans celui de l'ancienne Romanitas, on peut discuter de la persistance des formes agropolitiques romaines à l'intérieur des institutions ruinées par les invasions barbares. La langue et aussi la religion, venue de l'Orient, sont les témoins de ce passé et l'on pourrait suggérer que des formes de despotisme oriental ont Biblioteca Gino Bianco 49 subsisté tout au moins à l'état de substrat. Wittfogel résout rapidement le problème par la négative. A peine constate-t-il la persistance de certains symboles du régime révolu, telle l'obligation faite au vassal de baiser les pieds de son suzerain, qui devaient bientôt disparaître. Pour lui, le développement politique, se détachant du modèle romain, aboutit au système du gouvernement décentralisé (et, de plus, souvent anarchique) qui caractérise le Moyen Age en sa première période. Mais en Espagne le royaume wisigothique ne devait pas survivre à l'irruption de l'islam qui, relayant à distance la domination romaine, reprit les types de gouvernement du despotisme oriental. Cette fois, la transformation fut beaucoup plus profonde. Au moment de l'invasion arabe, la péninsule abritait une civilisation où l'agriculture d'irrigation ne jouait qu'un petit rôle. Les Romains, s'ils avaient étendu les institutions du despotisme oriental, négligeaient le problème agricole qui en était le fondement. Il n'en fut pas de même des Arabes : connaissant parfaitement l'agriculture hydraulique, ils s'empressèrent de mettre en œuvre les procédés qui avaient si bien réussi dans la vallée du Nil ou en Mésopotamie. L'irrigation artificielle fut améliorée et développée selon les systèmes orientaux. Ces procédés devaient fatalement influer sur les méthodes de gouvernement. L'Espagne n'était plus marginalement orientale comme du temps des Romains, elle était devenue une véritable société hydraulique. L'efficacité économique de ce régime n'est pas contestable : Cordoue a pu abriter un million d'habitants, Grenade 500.000, Séville 300.000, alors qu'à la même époque aucune autre agglomération de l'Occident ne dépassait les proportions d'une grosse bourgade. En contrepartie, l'Espagne musulmane était administrée de façon despotique grâce à une police vigilante qui permettait à l'Etat de saisir les biens des fonctionnaires destitués ; grâce aussi à une armée de mercenaires analogue à celle des califats orientaux. Mais, à son apogée, ce régime eut à compter avec les croisés de la Reconquista. Dès le x1ue siècle, les chrétiens avaient rétabli leur autorité sur la plus grande partie de l'Espagne. 11 est généralement admis, hors d'Espagne, que la reconquête fut un désastre pour l'agriculture de la péninsule ; ce qui est plus nouveau dans le travail de Wittfogel tient au caractère économique de l'opposition entre chrétiens et infidèles. Les régions du Nord, point de départ de la reconquête, étaient favorables à une économie pastorale, et la demande accrue de laine poussa les rois d'Espagne à étendre l'élevage du mouton aux régions libérées du Centre et du Sud. D'où l'étonnante puissance de la Mesta qui groupait les éleveurs d'ovins. Aussi la Reconquista peut-elle être qualifiée de féodale et de pastorale. L'auteur tient même à l'expression de « société féodale tardive ». Celle-ci nous paraît parfaitement juste et recoupe des travaux récents. Pierre Tucoo-Chala a en effet publié une th~se sur le Béarn, souveraineté pyrénéenne dont la vocation fut longtemps ibéri- •

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