Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

) QUELQUES LIVRES Le despotisme oriental SEPT ANNÉES après l'édition originale (New Haven, Yale University Press, 1957), vient de paraître en français Le Despotismeoriental.Etude comparativedu pouvoir total, de Karl Wittfogel 1. Reprenant une idée du Capital, K. Wittfogel avait naguère développé la notion de cc mode de production asiatique » qui expliquait la stabilité des régimes orientaux dont l'histoire n'est qu'une histoire des religions. En 1931, ces thèses furent condamnées par les théoriciens soviétiques pour qui les concepts de cc société orientale » et de « bureaucratie agrodirectoriale » étaient politiquement inadmissibles. Après un séjour en Chine en 1935-37, K. Wittfogel mit au point une analyse nouvelle, approfondie, de la société orientale ou, comme il préfère la nommer maintenant, « hydraulique ». Cette terminologie lui paraît essentielle pour établir, dès l'aurore de l'histoire, une différence entre l'économie agricole qui ne demande qu'une irrigation restreinte (hydroagriculture) et celle qui, exigeant de gigantesques travaux d'irrigation et de régulation des eaux, est nécessairement dirigée par l'Etat (agriculture hydraulique). Wittfogel étudie longuement, jusqu'aux temps modernes, les caractéristiques de cette agriculture hydraulique et ses aspects sociaux et politiques. Ce mode de culture implique une division spécifique du travail, augmente le rendement et entraîne une coopération à grande échelle. Ce sont là pour lui les fondements de tout le système. Une planification s'impose pour la construction des canaux et des routes. On peut même dire que le premier «plan» économique conçu par les hommes consista à établir un calendrier résultant 1. Traduit de l'anglais par Anne Marchand. Paris 1964, Editions de Minuit (Arguments, 23), 671 pp. Dès son numéro de mai 1957, le Contrat social a publié une étude de Karl A. Wittfogel, « Marx et le despotisme oriental », où, sous une forme quelque peu différente, se trouvaient esquissés les problèmes examinés dans ce livre. Les thèses de l'auteur ont déjà été discutées par Paul Barton dans deux articles : « Du despotisme oriental » et « Despotisme et totalitarisme » (Contrat social, mai et juillet 1959). - N.d.l.R. Biblioteca Gino Bianco . des observations astronomiques, calendrier indispensable pour fixer dans le temps crues et décrues, c'est-à-dire l'ordre des travaux agricoles. Ce n'est pas par hasard si ce sont des peuples sédentaires qui ont été les premiers à inventer les systèmes rationnels de calcul et d'écriture nécessaires à la bonne marche de leur organisation. Car tout est lié : les maîtres de la société hydraulique furent de grands bâtisseurs (travaux publics, palais, tombeaux, capitales) parce qu'ils furent de grands organisateurs, et grands organisateurs parce que grands calculateurs. Calculateurs, organisateurs, ils le furent aussi dans la guerre dont ils firent une science en créant, puis en perfectionnant la théorie militaire. Sur le plan de l'efficacité, la différence est donc considérable entre les Etats hydrauliques, .tels qu'ils viennent d'être définis, et les Etats à irrigation restreinte. Cependant les forces de Xerxès n'ont pu conquérir la Grèce de Thémistocle. En dehors d'un noyau de soldats de métier destinés à maintenir l'ordre, les multitudes armées du Grand Roi provenaient de levées en masse parmi une population asservie : leur valeur combative était faible, leur force d'idéal nulle. Elles avaient à affronter des cc citoyens » doués du sens individuel du courage et animés d'un patriotisme aux horizons limités, mais ardent. Cet individualisme reflétait le type de propriété de !'Hellade, qui s'opposait à la « propriété étatique» de l'Orient. En économie hydraulique, le despotisme est absolu·et ne se maintient (sous sa forme achevée) que par la terreur totale, laquelle entraîne la soumission totale. Ainsi, en dépit d'apports incontestables au progrès de la civilisation, l'Etat hydrau- · ligue n'est pas bienfaisant. Même si son pouvoir est illimité, il n'opère pas partout avec la même intensité; des groupes y échappent car, selon Wittfogel, les agents d'exécution de ce régime agissent ou se retiennent d'agir en fonction de 1~loi de rentabilité administrative décroissante, ce qui laisse subsister d'authentiques éléments de liberté. En fait, il s'agit de libertés sans portée politique, d'une démocratie au rabais, limitée aux sphères non hydrauliques de l' économie. Ailleurs, règne ce que nous pourrions appeler la civilisation du « scribe », à la fois oppresseur et . , <;>pprnne.

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