Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

revue l,i1tori'lue et critique Jes faits et Jes iJées Janv.-Fév. 1965 Vol. IX, N° 1 DÉPERSONNALISATION DU POUVOIR SOVIÉTIQ!IE par B. Souvarine CE QUI CHANGE et ce qui ne change pas, ou ne change qu'imperceptiblement dans la vie soviétique, le régime, la politique et l'idéologie, ne se laisse pas définir en paroles bien précises ou intelligibles dans un sens univoque. L'éviction de Khrouchtchev n'a rien changé à la politique ni à l'idéologie formulées depuis la mort de Staline par trois congrès du Parti et deux assemblées communistes internationales, ni au régime . dans son ensemble tel que les populations le subissent, mais pourtant un cei:tain changement dans les hautes sphères du pouvoir se dessine, qui doit retenir l'attention. Non pas qu'il soit justifié de voir à Moscou une « nouvelle équipe » dirigeante comme tant de commentateurs occidentaux le racontent : le présidium et le secrétariat du Parti, qui sont le pouvoir soviétique, n'ont perdu et remplacé depuis octobre dernier qu'un seul de leurs membres ; de même le Conseil des ministres, organe exécutif de ce pouvoir. On ne saura qu'après le prochain congrès du Parti si le renouvellement du Comité central va indiquer une tendance significative. Les quelques mutations gouvernementales intervenueg après Khrouchtchev n'excèdent pas en nombre ni en nature celles que l'on constatait antérieurement dans des périodes correspondantes. Le point notable, auquel notre précédent article a déjà fait allusion, c'est la relative dépersonnalisation du pouvoir, dont il serait prématuré de dire si le phénomène est temporaire ou durable. L'émersion de Khrouchtchev parmi l'entourage de Staline quand celui-ci quitta la scène déjoua toutes les prévisions des pronostiqueurs, qui ne soupçonnaient rien de ses capacités ni des rarports personnels dans l'état-major du Parti. Elles expliquait après coup par la révélation du tempérament et des talents mineurs du personnage, nécessairement dissimulés sous Staline; mais que ce personnage sans envergure intellectuelle 11t pu acquérir Biblioteca Gino Bianco ' ensuite une envergure politique de telle importance, cela ne s'expliquerait pas sans la confiance qu'il inspirait à ses collègues, ni sans le pli de servitude dont souffrent de longue date les peuples de l'ancienne Russie et sans le pli de servilité qui afflige la bureaucratie indigène. « Le peuple continue d'attendre un barine », écrivait Maxime Gorki déçu par la tournure que prenait la révolution, cependant que de son côté la presse « bourgeoise », dans sa vulgarité, veut à tout prix une vedette, en politique comme au théâtre, quitte à l'inventer bruyamment quand elle manque. Khrouchtchev a donc bénéficié de circonstances propres à l'ériger indûment en éminence et à faire illusion sur son compte, en sorte que son exhibition permanente éclipsât les réalités de la direction collective. Mais que s'effacent les apparences, et les réalités s'imposent. Si le rôle personnel de Khrouchtchev semblait contredire le fait d'une direction collective, c'est qu'une fois de plus l'imprécision et l'obscurité du langage, en dehors des sciences exactes, trahissent l'expression de la pensée. Il n'existe pas de vocabulaire vraiment approprié aux notions politiques en général, soviétiques en particulier, ne serait-ce que le mot « soviet » et ses dérivés, pour commencer : car du Soviet suprême au moindre soviet local, il ne s'agit que de fonctionnaires aux ordres, non de conseils élus et délibératifs. Aucun dictionnaire ne prévoit qu'un « secrétaire », individu préposé par définition aux écritures et à des tâches subalternes, ait le droit d'envoyer à la torture et à la mort des millions de victimes : on a vu pourtant un secrétaire de cette sorte, que ne mentionnaient pas la Constitution « soviétique » ni les statuts du Parti. Dans le monde communiste, le «parti» n'a rien de commun avec un parti politique dans la véritable acception du terme. Le « centralisme démocratique» des bolchéviks est l'antithèse de toute espèce de démocratie. La « dictature du pro-

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