S. HOOK temp3 ». Son nationalisme fait que Hegel est impuissant à tirer la conséquence politique logique et évidente de !'Universel concret, à savoir un Etat mondial, et qu'il aspire à un chef qui userait de sa propre ruse pour aider la ruse de la Raison à libérer l'Allemagne de l'envahisseur français, mettant ainsi fin à l'humiHation de sa patrie. La scélératesse machiavélique est prônée dans un langage extravagant quand elle sert la cause de l'unité nationale. Le conservatisme de Hegel était un frein à son nationalisme. Lorsque le nationalisme devint un mouvement de masse populaire, ~ craignit qu'on ne puisse plus le maîtriser à moins d'être immunisé contre les abstractions, maladie politique des Français. Seul un conservateur et un nationaliste tel que Bismarck aurait pu jouer le rôle conçu par Hegel pour l'architecte machiavélique de l'Empire allemand. Il est significatif que pendant l'ère bismarckienne, et en fait jusqu'à la première guerre mondiale, alors que le panlogisme de Hegel subissait une éclipse en raison des inconséquences manifestes de sa Naturphilosophie à une époque de progrès scientifique intense, il fut unanimement reconnu par -les tenants de l'ordre établi comme « unser Nationalstaatsphilosoph ». CETTE INTERPRÉTATION de Hegel est battue en brèche par le Dr Pelczynski et plusieurs autres spécialistes contemporains, lesquels sont déterminés à revendiquer pour Hegel la tradition libérale en renversant le jugement qui fait de lui un opportuniste en philosophie, complaisant à la réaction de Metternich. Selon le Dr Pelczynski, Hegel était un « champion de la rationalité politique », dans le même sens que Jérémie Bentham. La différence entre eux serait à l'avantage de Hegel, car tandis que l'utilitarisme moral de Bentham l'empêchait de reconnaître les « droits naturels» et la « loi de la raison», Hegel, lui, s'en faisait résolument le défenseur. « A cet égard, Hegel est beaucoup plus proche de Paine que Bentham. » Depuis le baptême d'Aristote, rien n'avait été tenté d'aussi audacieux que cette transfiguration. Si l'interprétation du Dr Pelczynski est fondée, il nous faut alors conclure que Hegel a été l'un des philosophes les plus méconnus de toute l'histoire de la pensée. Mais il nous semble, ?.._Ounrous exprimer avec modération, que ce n est pas le cas, que cette interprétation est aussi éloignée de la vérité que celle qui prétend faire de Hegel un précurseur ou un protagoniste du totalitarisme. Bentham était un rationaliste politique au sens précis où les penseurs du siècle des Lumières furent des rationalistes politiques dont les abstractions sur l'égalité, la liberté et le bonheur de l'homme étaient pour Hegel responsables de la démence sociale que fut la Terreur et du despotisme qui suivit la Révolution française. Il est vrai que Benthamse moqua de la rhétoriquefaite autour Biblioteca Gino Bianco 39 des droits naturels ; mais ce qu'il ne sut pas comprendre, c'est que pour Thomas Jefferson (aussi bien que pour Tom Paine), les droits naturels sont des droits raisonnables. Ce qui était « raisonnable » pour eux n'avait rien à voir avec la Vernunft hégélienne : c'était une version de bon sens de l'utilitarisme. Est « raisonnable » ce qui favorise le bonheur de l'homme ou réduit les souffrances humaines inutiles. Pour le Dr Pelczynski, la preuve la plus évidente de la légitimité de son interprétation - outre une exégèse qui dénature des textes lus à la lumière d'une hypothèse supposée être la bonne - est le fait que Hegel a célébré avec chaleur les débuts de la Révolution française. Depuis le temps où il dansait en compagnie de Schelling autour d'un « arbre de la liberté » (pendant la période de Tübingen) jusqu'à sa mort, Hegel garda intact le souvenir de la Révolution française comme d'un événement grandiose dans le calendrier de la liberté humaine. Tous les ans, le 14 juillet, il levait son verre pour commémorer la prise de la Bastille. Un ouvrage entier a été consacré à des choses de ce genre : dans son Hegel und die Revolution, Joachim Ritter passe en revue les références à la Révolution française dans l' œuvre de Hegel. S'il souligne tous les éloges, il escamote malheureusement toutes les critiques, réserves et allusions dédaigneuses à l'égard des adversaires du système de Metternich. Pour Ritter, la philosophie de Hegel est une étude détaillée des conséquences du principe français de liberté pour l'ensemble de la vie sociale. On· voit jusqu'où il est prêt à aller en lisant le passage suivant à propos de la Philosophie du Droit : L'enthousiasme juvénile pour la Révolution que l'on trouve au début de la carrière philosophique de Hegel est passé dans sa philosophie et s'est exprimé d'une manière vivante dans sa forme achevée. Sa philosophie demeure, au sens précis du terme, la philosophie de la Révolution qui a constitué à la fois son point de départ et le terrain sur lequel elle s'est épanouie à la fin. Rien ne caractérise mieux l'évolution spirituelle de Hegel que cette attitude affirmative à l'égard de la Révolution : elle détermine à la fois sa fin et son commencement. On est tenté de dire que rien n'est plus excessif ni plus faux que cette interprétation, si ce n'est peut-être l'opinion qui fait de Hegel un fasciste. Il existe de nombreux passages qui vont directement à l'encontre de cette façon de voir. Dans la Philosophiedu Droit, qui, selon Ritter, présuppose et élabore le principe de liberté de la Révolution française, Hegel écrit : Cette forme [de liberté] apparaît de manière plus concrète dans l'action du fanatisme, dans la vie politique aussi bien que dans la vie religieuse. Par exemple, pendant la Révolution française, sous la Terreur, toutes les différences de talent et d'autorité devaient être supprimées. Ce fut une époque de bouleversement, d'agitation, de haine contre tout ce qui est particulier. Ce que le fanatisme veut, c'est une abstraction, l'absence de toute organisation différenciée : lorsque des différences apparaissent, il les consid~re comme contraires à sa propre
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