Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

S. HOOK Herbert Marcuse dans son ouvrage : Reason and Revolution : Hegel and the Rise of Social Theory, lorsqu'il critique la «positivité» du droit, Hegel sous-entend la charte des anciens droits et privilèges qui légitiment des institutions surannées au point d'être caduques, et non pas le «positivisme». Hegel était un adversaire de cette doctrine pour d'autres r~sons: il y voyait une forme de l'empirisme. Deuxième cause de l'effondrement allemand : l'événement, ou la série d'événements, dont les conséquences avaient montré que l'Allemagne n'était plus un Etat, qu'elle était dépourvue de l'homogénéité et de l'autorité publique essentielles à l'existence d'un Etat. Les invasions de la France révolutionnaire, inspirées par une fausse conception de la liberté, avaient dévasté le pays. La guerre contre l'Allem4gne ne résultait pas d'une soif de pillage, mais de la notion abstraite que la France se faisait de la liberté. En un endroit, celle-ci est qualifiée de «folie libertaire française». Les Allemands eux aussi ont été contaminés par cet appel à la liberté, mais les sinistres réalités de la guerre les ont dégrisés : Il est évident que dix années de guerre [1792-1802] et la misère d'une grande partie de l'Europe nous aurons appris, du moins en théorie, à être plus insensibles à l'appel aveugle à la liberté. Dans ce jeu sanglant, le nuage de la liberté s'est dissipé : en essayant d'étreindre la nuée, les peuples se sont précipités dans un abîme de misère ... ( Constitution de l'Allemagne, éd. ail., p. 128). L 'l philosophie sociale et politique de Hegel, à peine ébauchée dans ces écrits mais développée dms son œuvre publiée, entendait réduire à néant deux conceptions de la liberté également fausses. D'une part, elle coupait l'herbe sous le pied au particularisme allemand qui trouvait son expression dans le désir de ne pas être importuné, de s'accrocher à des droits éculés jusqu'à accepter stupidement la formule : Fiat justitia pereat Germania. D'autre part, il s'en prenait aux absurdes prétentions universalistes de la France et à la notion d'égalité qui menaient tout droit au terrorisme de la Raison. Ces idées dangereuses séduisaient certains patriotes allemands qui sentaient en elles une force capable d'entraîner les masses, renforçant par là la résistance à l'agression. Hegel refusait d'abandonner le terme de« liberté» à l'un comme à l'autre parti. Il s'agissait seulement de l'interpréter de nouveau. Selon lui, est vraiment libre la société dans laquelle tous les groupes sont subordonnés à l'Etat, dans laquelle les décisions politiques importantes sont prises, après consultation avec des représentants qualifiés (pas forcément élus) de divers groupes sociaux, par un chef absolu s'appuyant sur une bureaucratie permanente de fonctionnaires rompus à leur tâche. La démocratie est le règne de la populace. C'est d'en haut que doivent venir les moindres modifications sociales, à condition toutefois que le peuple soit mdr pour cela. Il ne faut pas tondre les moutons en dehon de la saison. Le plus grand danger pour une société vraiment libre vient d'une Biblioteca Gino Bianco 37 prétention abstraite à l'égalité. Celle-ci trouve son expression « logique » dans la guillotine, qui s'efforce vainement de rendre les hommes égaux en leur coupant la tête : c'est l'égalité dans la mort. Dans la vie comme dans la société, il existe différentes manières d'être égaux. Le fanatisme, incapable de comprendre et d'accepter les vertus de la hiérarchie, voilà l'ennemi. DANS SON ESSAI sur Les Débats des Etats généraux du royaume de Wurtemberg (r8r5-I6) et sur Le Bill de la réforme en Angleterre, Hegel explicite sa conception d'une société bien ordonnée. Le suffrage universel est condamné comme ouvrant la porte à «l'absence de forme propre à la démocratie » et au « hasard ». L' « aptitude des électeurs » doit être garantie par certaines qualifications exigées de ces derniers, qui, même alors, ne seront jamais aussi dignes de confiance que des fonctionnaires. La « volonté du peuple » ? Un « grand mot» ! Mais « quelle est la véritable volonté de l'individu ? » Hegel répond : « Ce qui est bon pour lui.» Il s'ensuit que, si les représentants ou le gouvernement savent ce qui est bon pour le peuple, ils expriment la « véritable volonté »du peuple en dépit de ce que les gens peuvent vouloir ou choisir en fait. (Où donc avonsnous déjà entendu ce raisonnement inquiétant ?) L'Assemblée désignée par les électeurs compétents, lesquels ne correspondent qu'à une faible part de la population, a le droit de proposer des lois et de critiquer les projets qui lui sont soumis. Mais - et c'est là un point essentiel - elle ne dispose pas du droit absolu de regard sur le Trésor du monarque, lequel doit disposer de moyens financiers indépendants procurés soit par l'impôt, soit par tout autre moyen. Aucune loi votée par l'Assemblée ne peut être promulguée sans l'approbation du monarque. Celui-ci a le droit d'initiative en matière de législation. Inutile d'entrer dans les détails pour déceler les différences entre les points de vue soutenus dans ces écrits politiques et dans la Philosophie du Droit. On en a assez dit pour montrer que, aux yeux de Hegel, l'Allemagne de Bismarck eût été fort proche de son idéal de l'Etat « libre ». Il n'a décidément pas glorifié l'Etat prussien de son temps. Mais il n'en était pas très loin. La motivation politique de Hegel est également manifeste dans l'évolution de ses positions plus strictement philosophiques, y compris dans les disciplines traditionnelles de la métaphysique et de la logique. Dès l'origine, il eut conscience du rapport social qui existe entre la politique, la religion, la moralité et les modes de pensée. Certes, la pensée est apparentée aux activités de toutes les disciplines, mais, dans le domaine de la culture, si elle se fourvoie, elle affecte directement notre mode de vie. Dans sa Phénoménologie de l' Esprit, Hegel donne quelques illustrations

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