36 .Hegel est au plus haut parmi les philosophes communistes: outre sa méthode, on lui sait gré d'avoir anticipé sur Marx, à certains égards, la critique de la société bourgeoise et le phénomène de l'aliénation. IL FALLAITs'ATTENDRqEu'avec le temps le jugement sévère et injuste de Popper et consorts soit mis en question. Comme il est d'usage en pareilles matières, la réaction est tombée dans l'excès contraire. La réhabilitation de Hegel est en passe d'être achevée non seulement en Allemagne et en France (en Italie, à proprement parl~r, il n'a jamais subi d'éclipse, en dépit de B. Croce, demeuré hégélien malgré lui), mais également dans lemonde anglo-saxon. Dans son long essai liminaire à l'excellente traduction de T. M. Knox, auquel nous devions déjà une non moins bonne traduction de la Philosophie du Droit, le Dr Z. A. Pelczynski s'efforce, envers et contre tous, de présenter un nouveau Hegel à l'usage de notre temps. On nous demande d'admettre que Hegel, loin d'être un penseur réactionnaire ou totalitaire, n'est pas même un penseur conservateur ou autoritaire. Des mains avides et expertes du Dr Pelczynski, Hegel sort blanchi à neuf : c'est un libéral constitutionnel, presque un démocrate, une grande figure d:ins « l'axe de la théorie politique de l'Europe occidentale », dont les courants principaux sont « le constitutionnalisme, la démocratie et le progrès ». Sans s'aventurer aussi loin, dans un chapitre pénétrant et circonspect de son récent Man and Society, M. John Plamenatz s'étonne à son tour de découvrir que Hegel n'est, après tout, pas si réactionnaire qu'on le dit. En eux-mêmes, les Ecrits politiques offrent peu d'intérêt philosophique. Ne seraient-ils pas dus à la plume de Hegel qu'ils seraient tout simplement ignorés, quoique la lecture en soit relativement facile et le style, par endroits, nerveux et enjoué. Mais ils ont une importance primordiale pour enseigner comment lire, comment déchiffrer et comment comprendre les mobiles extra-philososophiques d'un penseur sur le compte duquel Friedrich Tonnies se lamentait : « Sein Wesen war Zweideutigkeit; er kannte so, er kannte auch anders. » Dans les commentaires sur Hegel, il est fréquemment question de son « secret». Celuici serait-il si difficile à sonder ? · * )(,. )(,. 1 Au POINTDEVUEde la logique pure, il est aisé de faire coïncider n'importe quel système métaphysique non empirique avec ·n'importe quelle position politique. Les thomistes·· peuvent ainsi faire profession de foi en la clémocratie, alors que les hégéliens prônent un républicanisme extrétp.iste, Or ce n'est pas la logique pure qui détermine quelles idées deviendront le cri de talliement d'un mouvement social, mai·sbien la'possibilité de Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES les utiliser pour servir certains intérêts dans un contexte historique donné. Et cet emploi découlera d'attitudes que telles grandes idées expriment et favorisent bien plutôt que des propositions qu'elles impliquent rigoureusement. C'est pourquoi certaines contradictions formelles à l'inté• rieur d'une doctrine ne constituent nullement une entrave pour le mouvement social qui s'en réclame. Bertrand Russell dit quelque part que les illogismes d'un philosophe donnent la clé de ses passions (cela s'appliquant d'ailleurs à lui-même aussi bien qu'aux autres). Si nous étendons ce môt aux ambiguïtés systématiques d'un philosophe, celles-ci peuvent fournir la clé du « secret » hégélien. Les écrits politiques, restés pour la plupart inédits du vivant de l'auteur, permettent de mieux vérifier notre hypothèse concernant les intentions de Hegel. * )(,. )(,. N'ÉTAIT la savante introduction du Dr Pelczynski, nous aurions dit que les Ecrits politiques rendent parfaitement claire les mobiles profonds qui se cachent non seulement derrière la philosophie sociale et politique de Hegel, mais tout aussi bien derrière sa logique et sa métaphysique. Sans que soit mise en cause leur validité, cela nous aide assurément à comprendre ce que le philosophe essaye d'exprimer, cela permet d'expliquer quelques curieuses contradictions dans la position qu'il a adoptée. · Avant d'examiner l'interprétation du Dr Pelczynski, nous tenons à exposer nos idées sur les mobiles de Hegel. Le manuscrit de la Constitution de l'Allemagne (écrite entre 1799 et 1802) révèle un nationaliste passionné brûlant du désir de voir son pays devenir un Etat unifié et puissant, soumis à la vigoureuse personnalité d'un moderne Thésée. La tâche essentielle du monarque, après avoir forgé l'unité nationale, sera de libérer l'Allemagne de la domination de la France révolutionnaire (la rive gauche du Rhin avait été perdue au congrès de Rastatt) et de la crainte qu'elle inspire, de clore ainsi le long chapitre de l'humiliation allemande. Hegel fut un patriote et un nationaliste allemand dès le début de sa carrière, avant même que son système philosophique ne prît forme; il n'attendit pas pour le devenir (ainsi que Plamenatz l'affirme) la chute de Napoléon. Selon Hegel, la condition déplorable dans laquelle se trouvait l'Allemagne était due principalement à deux causes. La première était l'amour traditionnel de l'indépendance manifesté par les Etats allemands, sentiment dont les racines devaient· être recherchées dans l'obstination et l'entêtement du caractère national lui-même. Fort nombreux, ces Etats ne voulaient pas démordre de leurs privilèges féodaux, bien que les temps aient changé. Individualisme historique attaché à .des textes désuets comme sources des droits du temps présent, et que Hegel considère comme l'essence même de la réaction. Ainsi que l'affirme
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