IVANOV-RAZOUMNIK est un bon artisan ; son premier roman, Les Cités et les Années, est en même temps le meilleur. D'Ehrenbourg, on peut dire : autant de romans, autant de visages; il n'a pas de personnalité, il imite toujours quelqu'un. Dans Julio Jurenito il emboîte le pas à Anatole France ; dans Jeanne Ney il essaie d'imiter la tradition des romans de Dickens ; La Vie et la mort de Nicolas Kourbov est un démarquage maladroit et raté de la prose rythmée des romans d'André Biély. Ce n'est pas un écrivain, mais un caméléon. La place de ses pareils est au mieux dans l'arrière-boutique de l'histoire littéraire. Reste Cholokhov, auteur d'un bon roman, Le Don paisible, et d'un mauvais, Terres défrichées. J'ai beaucoup d'estime pour cet auteur communiste parce qu'à la fin de son bon livre il évita l'idée (prescrite par le Kremlin) de faire de son héros, Grigori Mélékhov, un prospère président de kolkhoze, et préféra le faire mourir non repenti. Toutefois ce n'est pas ce détail qui importe, mais le fait que Le Don paisible présente une pente dont le faîte se situe au premier tome ; ensuite, de tome en tome, l'écriture faiblit, les images se répètent et s'affadissent, l'intérêt tombe. Cholokhov a beaucoup d'admirateurs qui le tiennent pour le maître de la littérature soviétique ; peut-être en est-il ainsi, mais, soit dit sans l'offenser, il y a quarante ans, il aurait parfaitement pu faire paraître son Don paisible dans les recueils de Znania. On y publiait Kondourouchkine : qui se souvient de lui aujourd'hui ? Sur les mêmes « thèmes cosaques » il y avait aussi les récits de Fédor Krioukov, lequel n'écrivait pas mal du tout, mais je crains qu'aujourd'hui personne ne sache plus son nom. Et si Cholokhov est vraiment « le sommet de la littérature soviétique », il faut dire que ce sommet, loin d'être un Elbrouz ou un mont Blanc, est une cime beaucoup plus modeste. Je terminerai ici pour aujourd'hui, car parler des véritables sommets de la << littérature soviétique » du dernier quart de siècle exigerait un long chapitre. Celui-ci confirmerait pleinement notre Biblioteca Gino Bianco 29 conclusion première : ce qui compte dans la littérature soviétique a été apporté par des écrivains de l'ancienne génération. Des romans tels que Moscou et Les Masques d'André Biély, La Chaine de Kalchtchéi de Michel Prichvine, sont des œuvres maîtresses de la littérature européenne. Et le « comte prolétarien» Alexis Tolstoï avec son Pierre Jer, et Serguéiev-Tsenski, et NovikovPriboï avec son Tsoushima sont tous des écrivains de l'ancienne génération qui, dans la littérature soviétique, dépassent de la tête la dizaine d'auteurs relativement jeunes cités plus haut. (Traduit du russe) IVANOV-RAZOUMNIK. N.D.L.R. - A titre de lecture complémentaire sur le sujet, il faut signaler : «Soviet Literature : 35 Years of Purge », par Véra Alexandrova, dans Problems of Communism, n°8 1 et 2 de 1952. L'auteur y traite notamment de « la chasse aux Frères de Sérapion», du« Proletkult », des groupes « Kouznitsa ,> et « Lef », des groupes « Oktiabr >> et «Pereval », tous liquidés l'un après l'autre sous Staline. Elle s'arrête plus spécialement sur les cas de Zochtchenko, d' Anna Akhmatova, de Zamiatine, de Pilniak, de Babel, de Tarassov-Rodionov, de Voronski, de Kliouïev, d'Essénine, de Paul Vassiliev, sans oublier la clique des persécuteurs persécutés, Averbach, Kirchon, Iasenski et autres. Il devrait être possible à présent de dresser enfin un tableau à peu près complet des écrivains exterminés dans la <, patrie du socialisme », et, d'autre part, une sorte de bilan provisoire des « réhabilitations »hypocrites prononcées depuis la mort de Staline, permettant de rééditer à Moscou bon nombre d'ouvrages mis à l'index et au pilon, figurant précédemment sur les listes noires. Un Institut comme celui de Munich, consacré à l' « étude de !'U.R.S.S. », serait qualifié pour accomplir ce travail nécessaire. Sur la littérature soviétique dans son ensemble, le lecteur intéressé fera bien de consulter : Histoire de la littérature soviétique, par Gleb Struve, Paris 1946, Editions du Chêne; et: A History of Soviet Literature, 19171964, par Véra Alexandrova, New York 1964, Anchor Books, Doubleday and Co, Garden City. Cette dernière étude est la plus récente et la plus complète. -- B. S.
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