Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

28 dont le roman Russie fit en vain le tour des rédactions et des maisons d'édition bien avant la révolution et qui ne fut publié que beaucoup plus tard. Tout cela, ce sont des «vieux» (nullement de l'âge d'or), et ce qui nous intéresse, c'est la génération des jeunes talents soviétiques. Il convient tout d'abord de retirer du lot un certain nombre de noms et d' œuvres d'. «écrivains prolétariens » : Michel Tchoumandrine, dont les romans furent placés par la critique au-dessus de Guerre et Paix ; Panférov, dont on ne pouvait lire jusqu'au bout Brousski (quatre volumes...) qu'en s'armant d'une forte dose de courage; Libédinski, lui aussi porté aux nues pour sa nouvelle La Semaine, et beaucoup de leurs semblables. Littérarature de si basse catégorie qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter. Pour moi, tous ces noms se confondent en deux noms consonants, ceux de jeunes romanciers : Malachkine et Malychkine. Je sais que l'un deux est un graphomane sans talent, l'autre un romancier « qui promettait », mais je ne parviens pas à me rappeler quel est des deux, l'auteur de Sébastopol, quel est celui qui a du talent et celui qui n'en a pas. Sur ces innombrables Malachkine et Malychkine, il n'y a pas non plus lieu de s'étendre. Je sais que les romans de Michel Slonimski sont d'une effarante médiocrité, que ceux de Michel Kazakov sont beaucoup moins primaires, que Kavérine est capable de fabriquer un attachant récit d'aventures, mais la vraie littérature n'a rien à voir là-dedans. Laissons donc de côté lesMalachkine et lesMalychkine : l'art n'en souffrira pas. Laissons aussi de côté les auteurs qui ont donné le peu qu'ils avaient à donner et qui ont ensuite quitté ·la littérature, soit parce que leur veine s'est tarie dans leur premier livre, soit parce qu'ils ont tôt quitté la vie. Un exemple du premier genre est Babel, qui écrivit une Cavalerie rouge pleine de caractère et y épuisa tout son talent 4 ; un exemple du second, Névérov, dont Tachkent, ville d'abondance contenait de grandes promesses, mais qui mourut jeune. L'un comme l'autre auront sans doute droit à un bref paragraphe dans l'histoire de la littérature russe qui reste à écrire. Après cette sélection assez indulgente (si elle était plus sévère, il est peu probable que des auteurs tels que Babel et Névérov trouveraient place dans l'histoire de la littérature), restent peutêtre une dizaine de noms de jeunes auteurs qui représentent les sommets de la littérature soviétique contemporaine. Je les énumère tout en reconnaissant d'avance que ma mémoire peut avoir des lacunes : Boulgakov, Zochtchenko, Ilf et Pétrov, Léonov, Olécha, Pilniak, Fadéiev, Fédine, Cholokhov, Ehrenbourg. . 4. Ivanov-Razoumnik ignorait alors que Babel, loin d'avoir épuisé son talent, était mis dans l'impossibilité de publier ses écrits et déjà dans un camp de concentration où il _a péri, - N,4,/.R, BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Les trois premiers représentent ce qu'on appelle la « satire soviétique ». A quel point c'est là un genre dangereux, le sort de Michel Boulgakov l'a bien montré. Après deux nouvelles assez spirituelles et subtiles (Les Œufs fatals et Les Diableries), celui-ci fut chassé de la littérature et ne publia plus. Zochtchenko fut plus heureux : grâce à la formule de· la « chronique petite-bourgeoise », mortellement ennuyeuse à haute dose, grâce aussi à la médiocrité de la satire, laquelle restait dans les limites de ce qui était permis, voire encouragé, Zochtchenko prospéra. Ses efforts pour s'évader de sa formule aboutirent à un échec: apparemment, Zochtchenko est incapable de se renouveler. Il aura probablement mérité un petit paragraphe dans la future histoire de la littérature. Enfin, Ilf et Pétrov, co-auteurs des fameuses Douze chaises et du Veau d'or - burlesques spirituels, mais sans méchanceté, - appartiennent eux aussi au passé : Ilf est mort et Eugène Pétrov reçut en son nom une décoration, puis eut la sagesse de ' , . renoncer a ecr1re. Léonid Léonov, romancier et dramaturge fécond, est un nom authentiquement littéraire, mais nullement d'origine soviétique. La Brèche, roman déjà fort ancien, prouva qu'il était un bon disciple d'Alexis Rémizov. Dans ses œuvres ultérieures, il se fit la main, assimila la thématique officielleet se poussa au premier rang. Il figurera certes dans un chapitre de l'histoire de la littérature soviétique, mais il n'aura pas droit à un chapitre à lui seul. On peut en dire autant de Iouri Olécha pour son roman bien construit, L' Envie ; mais alors que Léonov produit roman après roman, pièce après pièce, Olécha est beaucoup moins prolifique. Lui non plus n'appartient d'ailleurs pas à la génération de la« jeunesse soviétique»; de même que Léonov, il est d'âge plus que mûr. Boris Pilniak occupe une place à part, tant par son œuvre que par son destin. Le style négligé dans lequel il essayait d'imiter André Biély, son désir de devenir un expressionniste soviétique, l'abondance de sa production, son incapacité à mettre une œuvre au point, tout cela faisait de lui un épigone impuissant à se hisser au niveau d'un maître. Son sort cruel (on ignore jusqu'à présent s'il a été fusillé5 ou condamné à dix ans d'isolateur) figurera au nécrologe des écrivains russes, mais cela n'élève pas son niveau artistique~ Nous déplorons le sort de Poléjaev, ce qui n'empêche pas celui-ci d'occuper dans le Parnasse russe une place secondaire. Poléjaev périt tout jeune, au début de sa carrière littéraire, tandis que Pilniak eut le temps d'écrire une bonne dizaine de romans qui avaient donné de lui une image bien définie, sinon très favorable. Je passe rapidement sur Fadéiev, dont Le Dernier des Oudegayans ne serait pas un mauvais roman si l'auteur ne copiait pas servilement tous les procédés de Léon Tolstoï. Constantin Fédine 5. Il a été fusillé, en effet. - N.d.l.R.

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