IVANOV-RAZOUMNIK rangé parmi les « poètes koulaks», ce qui lui valut de passer trois ans dans l'isolateur de Souzdal. Sans avoir aucun titre à une place dans l'« histoire de la littérature », son triste sort n'en mérite pas moins respect et compassion. Si le destin l'épargne et s'il travaille dur, il peut devenir un bon poète tout en restant aussi loin de Kliouïev que d'une étoile dans le ciel. Le second est Selvinski, versificateur adroit, non sans esprit, mais un sous-produit de Maïakovski de même que Paul Vassiliev l'est de Kliouïev. Lorsque Maïakovski acquit puissance et gloire, à titre posthume, il eut d'innombrables émules, tel Nicolas Asséiev, vieux poète « prérévolutionnaire» relégué jusque-là dans l'antichambre de la poésie, et qui trouva soudain le chemin et de la gloire et d'une décoration grâce à sa bonne conduite politique et à son imitation aveugle des procédés du maître. Selvinski lui est à cet égard supérieur : il eut des velléités d'indépendance qui toutefois n'offrent qu'un intérêt limité. Il est peu vraisemblable que la future histoire de la poésie russe lui accorde plus qu'un modeste paragraphe. Enfin, le troisième. C'est précisément lui qui constitue cette unique exception qui, comme toujours, confirme la règle. Le troisième poète, en réalité le seul, est Vassili Kazine, auteur d'une mince plaquette, Mai ouvrier. Là sont tous ses titres à l'immortalité car, devenu membre du Parti, il renonça à la poésie : chanter ce que lui dictait son âme était impossible, et comme il ne voulait pas chanter sur commande, il préféra briser sa lyre. Après ce premier et dernier recueil de vers, il écrivit très peu de chose (L'Amour et la Pelisse de renard, poème) pour se donner entièrement au travail du Parti. C'est une perte pour la poésie russe, car Mai ouvrier promettait beaucoup. Karine est le seul « poète soviétique » supérieurement doué et en même temps un « poète prolétarien » (ancien ouvrier) : au Proletkoult ( université prolétarienne), tout jeune, il fut un élève d'André Biély qui y enseignait alors, tout au début de la révolution... Le prolétariat lui-~ême ne saurait se passer de filiation « bourgeoise »... Pour clore cet aperçu sur la« poésie soviétique», je répéterai la conclusion énoncée au début : au cours des vingt-cinq années de son existence, tout ce qui compte dans cette poésie fut apporté par la génération présoviétique, les géants de l'époque précédente. On aurait pu croire qu'en un quart de siècle la révolution donnerait naissance à sa propre génération de poètes. Il n'en a rien été, et pour une raison bien simple : là où la parole est pnsonnière, il n'y a pas place pour le talent créateur. Que l'on ne vienne pas me reprocher de n'avoir pas mentionné une «vedette» de l'envergure de Demian Bicdny, car je répondrais que cette « vedette » n'a absolument rien à voir avec la poésie. Biblioteca Gino Bianco 27 II. - Prose LA FORMULE GÉNÉRALE : (( Tout ce qui compte dans la littérature soviétique est dû à la génération prérévolutionnaire », pleinement justifiée en ce qui concerne la poésie, éveille à première vue le scepticisme lorsqu'il s'agit de la prose. En effet, il y eut, en ce quart de siècle, tant de noms de jeunes prosateurs de talent pour bien peu de noms d'écrivains de la précédente génération littéraire ... Bien entendu, ce n'est pas la quantité qui compte, mais la qualité : une courte nouvelle comme La Chasse au bonheur, de Michel Prichvine, peut peser plus lourd dans les balances de la critique et de l'histoire littéraires que les nombreux volumes du roman-fleuve sans intérêt de Panférov, Brousski. Simple exemple pris au hasard ; le domaine des jugements de valeur étant au plus haut point subjectif, je ne prétends nullement que les miens aient une portée générale. Je le dirai dès l'abord : je ne suis ni du nombre des lecteurs qui rejettent en bloc la « littérature soviétique », sous prétexte que rien de bon ne peut venir de Nazareth, ni de ceux qui sont enclins à comparer Zochtchenko à Gogol. Je tiens cependant que l'« âge d'or » de la prose russe du début du xxe siècle est révolu, que dix années comme celles qui ont vu paraître des romans « faisant époque » comme Le Démon mesquin de Sologoub et Pétersbourg d'André Biély ne reviendront plus, qu'à l'âge d'or a succédé, comme il fallait s'y attendre, l'âge d'argent (encore heureux si ce n'est pas l'âge d'airain), que dans le domaine de la prose également les pygmées sont légion. Ils furent innombrables à proliférer dans la littérature soviétique, ces nains, et il n'est pas question d'en faire état ici. Un jour, environ 1930, je faillis bien mourir de rire en lisant le titre d'un article de revue : «L'œuvre d'Ivan Ouksoussov ». Un « écrivain prolétarien » de ce nom a bel et bien existé ; il a écrit deux ou trois contes, une nouvelle, un roman, puis il a disparu sans laisser de trace. En Union soviétique, personne ne se souvient plus aujourd'hui de ce romancier à l' « œuvre » duquel des articles ont été consacrés. Eh bien, toute cette production incolore n'est qu'un Ivan Ouksoussov collectif dont il n'y a pas lieu de parler. Parlons plutôt de vraie littérature. Mais il y a littérature et littérature. Prenons, si vous voulez bien, la onzième édition du roman de Fédor Gladkov, Le Ciment, traduit en plusieurs langues européennes. N'est-ce pas toujours le même Ivan Ouksoussov, la même production incolore et qui n'a rien à voir avec l'art littéraire? Des Gladkov, si grand que soit leur succès, je ne parlerai pas non plus; remarquons seulement que Fédor Gladkov est un écrivain de l'ancienne génération, qu'il publiait avant la première guerre mondiale, de sorte qu'il ne peut servir de représentant à la « jeune littérature soviétique ». La même remarque vaut pour Panteleïmon Romanov,
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