Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

26 de subjectivité. On peut néanmoins citer des noms et des œuvres qui resteront ne fût-ce que sous forme d'une simple mention dans une histoire de la littérature soviétique. Je ne parle pas de la littérature russe « européenne », car je la connais encore trop peu : il me reste beaucoup de choses à lire pour avoir le droit de comparer les deux courants, séparés qu'ils sont depuis vingt-cinq ans par une muraille de Chine. La littérature soviétique I. - Poésie QUEREPRÉSENTE lalittérature soviétique-prose, poésie, critique - vue à vol d'oiseau? Un quart de siècle est un long moment dans la vie d'un homme et dans celle d'une littérature. Peut-on parvenir à des conclusions d'ensemble si l'on étudie la littérature soviétique depuis ses sources, la révolution de 1917, jusqu'à ce fossé qu'a creusé la guerre de 1941 ? Ce serait là le sujet d'un long article, non pas d'un bref aperçu. On ne peut poser ici que les grands jalons qui montreront, sinon tous les détails, du moins la direction générale. J'énoncerai dès l'abord une conclusion qui s'impose : tout ce qui compte dans la littérature soviétique a été apporté par l'ancienne génération, celle qui avait atteint l'âge mûr en 1917. Les exceptions - infimes - ne font comme toujours que confirmer la règle. Avant tout, laissons de côté la dernière des trois branches de la littérature, car il n'est pas de critique là où toute opinion personnelle est impossible. Un épisode illustrera cette vérité. Un certain Cornélius Zelinski (il existe un critique de ce nom, et il est relativement cultivé), écrivit un article où il portait un jugement tranchant sur Skoutarevski, de Léonov, qui venait de paraître. Il proposa l'article à une revue et apprit le même jour qu'au Kremlin on avait sur le roman une opinion diamétralement opposée à la sienne. Zelinski courut aussitôt à la rédaction, reprit son manuscrit et, quelques jours plus tard, le rapporta : les défauts s'étaient changés en qualités et vice versa, si bien que, sous sa nouvelle forme, l'article était au diapason du Kremlin. Une indiscrétion ébruita l'incident, après quoi on n'appela plus Zelinski que « Vaselinski ». L'anecdote est typique. Dans l'étude de la littérature soviétique, on peut à bon droit négliger la critique. En revanche, on ne peut éliminer la poésie ; elle a donné, en ce dernier quart de siècle, des œuvres qui dureront. Mais ces œuvres sont dues à des auteurs qui n'appartiennent nullement à la « génération de la révolution ». A commencer par l'étonnant poème Perquisition nocturne, de Khlebnikov (il est non moins étonnant que la censure ait bien voulu le tolérer dans l'édition en cinq Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL volumes des œuvres du poète), en passant par le. Premier rendez-vous, d'André Biély, d'une exceptionnelle maîtrise, puis le poème de Vladimir Hippius intitulé La Face humaine, et pour finir par les poèmes de Kliouïev, par ceux d'Essénine, tout cela était la continuation et le couronnement de 1' « âge d'or » de la poésie russe qui commença avec le siècle. Maïakovski eut son heure de gloire, mais lui non plus, à l'époque de la révolution, n'alla pas plus loin que Le Nuage en pantalon et le spirituel mais superficiel Mystère-Bouffe, écrit avant la période de « littérature soviétique ». Valéri Brioussov, devenu peu de temps avant sa mort membre du Parti, s'était presque complètement tu ; Maximilien Volochine, au contraire, écrivait beaucoup dans son Koktebel, sur les bords de la mer Noire ; non décoré, Boris Pasternak suivait sa propre voie, et le décoré Nicolas Tikhonov continuait la tradition poétique de Goumilev qui, lui, avait été fusillé. Pour échapper à la ,censure, Anna Akhmatova n'écrivait plus et, pour des raisons d'ordre diplomatique, un aussi grand poète que Baltrusaïtis (ambassadeur à Moscou de la nouvelle République de Lituanie) gardait également le silence. Mais ce sont là des noms connus longtemps avant la naissance de la « littérature soviétique » ; c'est à eux qu'elle doit les œuvres qui, sous une forme ou une autre, si réduite soit-elle : chapitre, paragraphe, titre, feront date. C'est à dessein que j'omets des dizaines de noms de poètes de second ordre appartenant à la même génération, tel le mielleux Rojdestvenski (devenu un fidèle valet des hommes au pouvoir) ; tel le subtil Piast (mort irréconcilié en 1941 après avoir été déporté), auteur d'un certain nombre de poèmes inédits ; tel Paul Antokolski, épigone de talent, et beaucoup d'autres de la génération prérévolutionnaire. Certains se sont tus, certains ont « vendu leur épée » ( ou plutôt leur plume), certains ont disparu : fusillade, emprisonnement, camp de concentration, déportation. Mais l'énumération de dizaines d'autres noms n'ajouterait rien à ce fait fondamental : tout ce qui est « historique » dans la poésie soviétique est dû à la génération présoviétique 3 • Quels. noms mettre en avant pour faire contrepoids à ceux qu~ nous venons de citer ? Quels sont ceux qui pourraient passer pour des poètes de la« génération soviétique»? Rien qu'à Moscou, il y avait, disait-on, 1.600 poètes déclarés; mais ici nous n'avons pas à tenir compte du recensement officiel, nous voulons parler des poètes entrés dans l'histoire de la « littérature soviétique » ou qui méritent d'y entrer. Pour se contenter de peu, voici trois noms sur lesquels on peut encore dire quelque chose. Le premier est Paul Vassiliev, doué de quelque talent, mais que perdait une excessive verbosité poétique; épigone de Kliouïev, il fut également 3. Rappelons une fois de plus que cet écrit date du début des années 40. - N.d.l.R.

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