E. DEL/MARS Dans ce remarquable recueil, l'auteur examine les sources avec une rigueur de chartiste, les confrontant avec le plus grand soin et précisant tout ce qu'il est possible de savoir aujourd'hui sur le tsar Ivan, ses hommes de main et ses victimes. Cet examen approfondi conduit Vessélovski, vieil intellectuel de l'intelligentsia russe prérévolutionnaire, non contaminée par les partis pris «marxistes », à des conclusions difficilement réfutables. Leur ton passionné est probablement une protestation contre l'atmosphère du« culte de la personnalité » qui régnait alors. Elles réduisent à néant toutes les affirmations de Staline et de ses thuriféraires, lesquels encensaient le despote en louangeant son prototype couronné. Réduit au silence comme tous les Soviétiques, Vessélovskin'avait pas d'autre possibilité d'exprimer sa révolte devant l'absurdité de la terreur de 1934-39, pareille à la bestialité frénétique des années 1564-72. Il va même jusqu'à remettre en question les conceptions de maints historiens d'avant la révolution, en particulier celles de Platonov. · Documents à l'appui, Vessélovski affirme que les persécutions d'Ivan IV en général et de l'opritchnina en particulier se réduisent à la liquidation des personnes, déniant un sens historique quelconque aux réformes de l' opritchnina : Si l'opritchnina avait été créée pour liquider les détenteurs des francs-alleux, qu'avaient à y faire des milliers de petits et moyens propriétaires de fiefs, ruinés par les expulsions? Comment faut-il qualifier le sens politique et les actions d'un souverain, si, pour ruiner quelques dizaines de principicules alleutiers, il commence par ruiner plusieurs milliers de ses serviteurs ordinaires, puis renonce à son dessein et, comme si de rien n'était, propose à tout le monde, alleutiers ou non, de revenir dans leurs anciens domaines dévastés ? Il faut être complètement fou pour effectuer une telle réforme, puis y renoncer. Or le tsar n'était nullement fou (op. cit., p. 65). Pour Vessélovski, l'expédition contre Novgorod et le massacre de la population s'expliquent uniquement par la nature soupçonneuse du tsar. Les historiens de jadis attribuaient l'extermination insensée des innocents à la «folie» d'Ivan. Or l'examen minutieux de la généalogie des victimes importantes, de leurs connexions familiales et de leur entourage, permet à Vessélovski d'affirmer que les exécutions s'expliquent par les contacts, parfois accidentels, des victimes avec les gens déjà liquidés ou destinés à l'être. Cet historien était très bien placé à Moscou pour déceler des procédés identiques dans les épurations staliniennes massives d'avant la guerre. Il démontre également que les actes d'Ivan n'étaient point des conséquences de sa lutte délibérée contre les boyards en vue de créer un Etat russe centralisé. Cette centralisation autocratique avait déjà été réaliséepar deux tsars avant lui. Ivan ne cherchait qu,à établir son pouvoir Biblioteca Gino Bianco 17 despotique personnel. Il l'avait proclamé luimême dans sa polémique ~vec le prince Kourbski, qui s'était mis hors de sa portée : Je suis libre de récompenser, de punir et d'exécuter mes serfs à ma guise. Je ne crains ni ici-bas ni au Jugement dernier les hurlements et les plaintes de ces chiens de traîtres, indignes d'une mort et d'une sépulture chrétiennes. Cette attitude inexorable fut maintenue par le tsar dès le début des exécutions en masse, sous l'opritchnina et après l'abolition de celle-ci, jusqu'à la dernière année de sa vie. La doctrine du despotisme absolu exercé en vertu de son droit divin d'Oint du Seigneur tranquillisait la conscience d'Ivan, très croyant comme tous les Russes d'alors. Imbu lui-même des dogmes et superstitions de son époque, il les utilisa d'ailleurs très judicieusement pour inspirer à ses sujets une sainte terreur. · Pour les orthodoxes, la mort n'était qu'un passage à une vie nouvelle, dans laquelle les uns étaient voués à tout jamais aux flammes de l'enfer, les autres à la béatitude du paradis. L'âme quittait avec le dernier soupir, « comme une petite fumée », le corps du mourant et, six · semaines durant, flottait, inquiète, au-dessus du lieu du décès. Pour la pacifier et la préparer à son dernier voyage, les services religieux et les repas funéraires pendant et après les obsèques étaient indispensables. Ils devaient être célébrés le neuvième, le vingtième et le quarantième jour. A cette dernière date, l'âme avait pour la dernière fois l'occasion de se retrouver parmi les siens, parents et amis, et au repas funéraire de ce jour on lui réservait une place et un couvert. Au bout de six semaines, l'âme quittait la terre et partait pour l'au-delà, où elle devait attendre le « second avènement» et le Jugement dernier. Or, pour qu'une âme, chargée d'une balance provisoire de ses bonnes et mauvaises actions, puisse accéder à l'au-delà, plusieurs conditions étaient requises. Sinon, c'était l'enfer. Tout d'abord, le mourant devait se confesser et recevoir l'absolution. La crainte de mourir sans absolution terrorisait les Russes du xv1e siècle au point qu'une attestation écrite de l'accomplissement du rite était placée dans la main du cadavre. Sans celle-ci, il ne pouvait être question d'être enterré en terre consacrée. L'homme surpris par la mort devait être inhumé en dehors du cimetière. Les condamnés à la peine capitale subissaient le même sort, malgré l'absolution qui leur était donnée avant l'exécution. Ensuite, l'intégrité du cadavre dans la tombe était également une condition essentielle pour qu'au son de la trompette du Jugement dernier il puisse se redresser, retrouver son âme et se présenter devant Dieu. D'où le désir de rapprocher la tombe d'un lieu saint, église ou chapelle, afin que le défunt soit à l'abri des vivants et des mauvais esprits. La crypte d,une église était
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