Le Contrat Social - anno IX - n. 1 - gen.-feb. 1965

16 Maintes questions ont besoin d'être étudiées et révisées, mais la révision doit s'appuyer sur un bilan des résultats obtenus par la science (...). La tâche des historiens de la Russie féodale est d'abord de continuer à étudier les formes concrètes de l'évolution du servage dans notre pays, et ensuite de préciser les caractéristiques objectives de l'évolution sociale et économique de la Russie (...). Il faut étudier l'essence sociale et politique de l'opritchnina, les traits du tsarisme russe, la politique, les guerres, etc. La révision de toutes ces questions doit être approfondie et féconde (cf. n. 24). C'est ainsi que la déstalinisation d'Ivan le Terrible, si gênante pour l'Institut d'histoire, fut diluée dans des problèmes de détail concernant le féodalisme russe du XVIesiècle. En fait, on n'en parla plus pendant longtemps. Ce silence était d'ailleurs prudent : la lutte de Khrouchtchev contre le «groupe antiparti » n'était pas encore terminée et le culte de la personnalité de Staline conservait nombre de zélateurs. L' .,,'\.cadémiedes sciences préférait ne pas s'aventurer sur un terrain mouvant. Les historiens se consacrèrent à des tâches plus inoffensives : publication des sources, chroniques et documents divers de la seconde moitié du XVIe siècle, réédition d' œuvres des historiens russes d'avant la révolution, etc. L'INSTITUTD'HISTOIRdEe l'Académie, qui avait hérité des manuscrits et des archives de Vessélovski, avait constitué, en 1957, une commission chargée de préparer la publication de ses œuvres en grande partie inédites. Depuis sa mort survenue en 1952, on n'osait toucher à ces papiers qui projetaient une lumière trop crue sur le règne d'Ivan. Le grand public ignorait le nom de Vessélovski, lequel n'avait jamais publié d'ouvrages de vulgarisation ni fait de conférences publiques. Homme riche avant la révolution, il avait eu pendant de nombreuses années à son service une équipe de copistes qui travaillaient pour son compte sur les archives historiques de Moscou dont il connaissait à fond les ressources. Il put ainsi constituer une bibliothèque personnelle de plusieurs milliers de volumes. Cette documentation unique lui permit de s'enfermer chez lui, après la révolution, et de se livrer à un travail de bénédictin, d'étudier et de préparer la publication de textes historiques , . prec1eux. Ce« connaisseur, probablement le meilleur, des documents d'archives concernant l'histoire sociale et économique de l'Etat moscovite au XVIesiècle, tellement soignés dans leur présentation que l'on pouvait accorder aux textes édités par lui la même confiance qu'aux photocopies» 29 , jouissait dans les milieux savants d'une solide réputation de rat de bibliothèque, détaché des contingences et vivant en reclus parmi ses dossiers poussiéreux. 29. G.E.S., 1re éd., tome X, 1928, col. 438. BibliotecaGino Bianco -., LE CONTRAT SOCIAL • Cette réputation le préserva des épurations staliniennes, bien que le pouvoir lui reprochât déjà << d'examiner les documents en partant de positions juridiquement formalistes et de commettre. des erreurs de méthodologie » 30 • En langage clair, cela signifiait que Vessélovski n'acceptait pas l'interprétation officielle du règne d'Ivan le Terrible, sur lequel il avait publié, pendant et au lendemain de la guerre, une série d'études dans diverses revues savantes 31 • Dans l'atmosphère du jdanovisme imposé.depuis 1946, les derniers écrits de cet historien sincère ne pouvaient naturellement être publiés. Il fallut attendre la victoire de Khrouchtchev sur le « groupe antiparti » et la relance de la déstalinisation par le XXIIe Congrès (octobre 1961) pour que la commission, présidée par Tikhomirov, sortît de sa léthargie. Au moment où la· dépouille du despote, hier encore vénérée à l'égal de celle de Lénine, était enfin expulsée du mausolée, la déstalinisation de son prototype du XVIesiècle devenait parfaitement conforme à la « ligne ». L'Académie des sciences, rendue très circonspecte par le long règne de Staline, pouvait enfin accorder son imprimatur à l'ouvrage de Vessélovski consacré à l'opritchnina. Ce recueil de 558 pages, dont 468 pages de texte, contient vingt et une études, parmi lesquelles dix-huit sont inédites. Elles sont réparties en deux catégories : d'abord, quinze études sur l'opritchnina, datées de 1940-45; suivies d'un registre d' opritchniki identifiés et de leurs états de services ; ensuite, cinq études de sources, y compris le « Nécrologe... » et le « Tesd , .à bli' 32 tament ... », eJ pu ees . . Les études de la première catégorie constituent visiblement les chapitres d'un futur ouvrage sur l' opritchnina, resté inachevé et auquel Vessélovski paraît avoir cessé de travailler depuis 194 5. Découragement dû à l'impossibilité de publier, en raison du nouveau durcissement du régime, ou bien déclin des forces d'un historien déjà septuagénaire ? Sans doute les deux à la fois 33 • 30. G.E.S., 2e éd., tome VII, 1951, p. 544. 31. Notamment: « Nécrologe des gens tombés en disgrâce auprès du tsar Ivan en tant que source historique», in Questions de l'étude des sources», fasc. 3, Moscou-Léningrad 1943 ; « Propriété terrienne des monastères en Russie moscovite dans la seconde moitié du xvie siècle », in Notes historiques, fasc. 10 de 1941; « Premiers essais de réforme du pouvoir central sous Ivan le Terrible», id., fasc. 15 de 1945 ; « Création de la cour d'opritchnina en 1565 et sa suppression en 1572 », in Questions d'histoire, n ° I, janvier 1946 ; « A propos de l'histoire de la propriété terrienne dans la vieille Russie », in Notes historiques, fasc. 18 de 1946 ; « Derniers apanagistes dans la Russie du ~ord-Ouest», id., fasc. 22 de 1947; « Testament d'Ivan le Terrible en tant que source historique », in Nouvelles de l'Académie des sciences de l' U.R.S.S., série d'histoire et de philosophie, tome IV, n° 6 de 1947; Propriété terrienne féodale dans la Russie du Nord-Ouest, tome I, Moscou 1947 (ouvrage inachevé). 32. S. B. Vessélovski: Recherches sur l'histoire de l'opritchnina. Moscou 1963. 33. Vessélovski mourut à l'âge de 76 ans, en janvier 1952, donc treize mois avant Staline.

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