12 lement Ivan le Terrible et couronnée par le prix Staline en 1948. Une avalanche d'articles de journaux et de revues, de récits, pièces de théâtre et brochures diverses déferla ainsi sur le public soviétique jusqu'à la mort de Staline. La justification de la terreur du tsar et de ses opritchniki disculpait par avance les épurations passées, présentes et à venir du régime stalinien. Rien n'était négligé pour parfaire l'interprétation stalinienne de la « bienfaisante» activité d'Ivan le Terrible. . Dans la première édition de la Grande Encyclopédie Soviétique, l'article « Ivan IV Vassiliévitch » 16 , signé par Militsa Netchkina, ajoutait à son titre le surnom de« Terrible» donné à ce tsar. Il date de 1933, c'est-à-dire des premières années _dela toute-puissance de Staline. On y trouve les passages suivants : La politique d'I van IV a, sous tous les rapports, un contenu de classe évident, derrière lequel disparaissent entièrement les traits psychopathologiques du tsar (...). Les exécutions, la terreur contre les boyards ont joué un grand rôle dans la liquidation de ces derniers. On compte par milliers les victimes d'I van, qui fréquemment prenait part en personne aux tortures et aux exécutions( ...). La répre·ssion de la révolte de Novgorod entraîna à elle seule I. 505 mises à mort officiellement enregistrées. Dans cet article, M. Netchkina commettait une lourde bévue : . Le professeur Vipper présente, dans son Ivan Grozny de r922, une apothéose contre-révolutionnaire d'Ivan IV en tant que dictateur autocrate. Il camoufle ainsi, sous un exposé historique, un appel direct à la lutte contre le bolchévisme 17 • Pouvait-elle prévoir que cette apothéose serait, quelques années plus tard, contresignée par Staline ? En 1952, dans la deuxième édition de l' Encyclopédie, Ivan n'est plus « le Terrible», mais tout simplement «Ivan IV Vassiliévitch » 18 • Le surnom traditionnel est soigneusement évité dans un texte très élogieux où le lecteur apprend que « l'activité d'Ivan IV était indissolublement liée à la consolidation de l'Etat russe centralisé ». L'importance « progressiste » du règne est soulignée par cette citation de Staline : « Seul un pays rassemblé autour d'un Etat centralisé peut escompter une croissance culturelle et économique sérieuse et peut affirmer son indépendance. » Cette fois, la thèse est la suivante : La terreur politique contre les boyards et les exécutions massives étaient un des moyens pour consolider l'Etat centralisé. Cette politique était objectivement nécessaire du fait que les princes et les boyards ne reculaient devant aucun moyen pour résister à l'Etat centra16. G.E.S., 1re éd., tome XXVII, 1933, col. 326-29. 17. Fort heureusement, cette dénonciation honteuse ne pouvait plus nuire à Vipper, émigré à Riga en 1924. 18. G.E.S., 2e éd., tome XVII, 1952, pp. 266-69. Bibl1otecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL lisé : ils allèrent jusqu'à tenter de livrer Ivan IV au roi de Pologne (...). A l'intensification de la lutte par les boyards réactionnaires, qui ne reculaient pas devant la trahison directe (fuite de Kourbski en Lithuanie en I 564, etc.), le tsar répondit par une réforme extraordinaire : la création de l'opritchnina ... Cette armée progressiste joua un grand rôle dans la liquidation de la puissance politique et économique des boyards, dans la destruction des survivances du morcellement féodal et dans la consolidation de l'Etat russe centralisé. Voici ce que devient Ivan IV : Le plus grand homme politique du xv1e siècle (...), créateur de l'art militaire russe et fondateur de l'armée régulière dotée d'armes à feu (...), une des personnalités historiques les plus remarquables, homme d'une volonté de fer( ...) qui, pour réaliser ses desseins, fit preuve d'une persévérance et d'une énergie hors de pair. C'était unprillant diplomate, un capitaine habile et un homme politique résolu et expérimenté. Au milieu des complots et des trahisons des boyards, il manifesta une fermeté extraordinaire dans la lutte contre ses ennemis et sut mener à bon terme la centralisation du pouvoir dans l'Etat russe (...). Homme très instruit (...), il alliait à l'ironie fine et au sarcasme foudroyant une grande force de persuasion et une érudition: encyclopédique. On reconnaît là le portrait exact de Staline, tel du moins que le culte de sa personnalité voulait l'imposer. Les signataires de ce panégyrique : le professeur I. I. Smirnov, A. M. Sakharov et l'historien militaire I. A. Korotkov ne reculent point devant un mensonge flagrant : L'image du tsar Ivan IV s'est maintenue dans la mémoire du peuple. Maintes chansons de geste et complaintes lui donnèrent son surnom de « Grozny » 19 en raison de sa force de caractère, de son esprit de décision et de sa fermeté. Or il est indiscutable qu'Ivan IV est demeuré depuis quatre siècles dans la mémoire des Russes comme « le tsar terrible » en raison des exécutions en masse qui terrorisèrent le pays pendant les vingt-quatre dernières années de son règne. Cette nouvelle interprétation d'Ivan fut entérinée par les plus hautes autorités, le Comité -central du Parti qui décréta que le tsar était « un homme de forte volonté » dans sa décision du 4 septembre 1946 concernant Une grande vie, deuxième époque du film Ivan le Terrible d'Eisenstein. Avant le premier tour de manivelle, Staline convoqua le 24 février 1947 le metteur en scène Serge Eisenstein et l'artiste N. K. Tcherkassov, 19. Le Dictionnaire de la langue littéraire russe contemporaine de l'Académie des sciences donne deux acceptions de « grozny » : 1. celui qui inspire la peur et l'épouvante ; 2. menaçant. Quant au dictionnaire de Dahl : Dictionnaire raisonné du grand-russe vivant, il :mentionne : « Dans les temps anciens et appliqué aux tsars, " grozny " pouvait signifier : courageux, majestueux, impérieux, celui qui inspire la peur aux ennemis ..• » Une preuve de plus que la flagornerie envers le pouvoir ne date point de la révolution d'Octobre.
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