Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

328 « porter l'effectif du Comité central à plusieurs dizaines ou même à une centaine de membres ». 11 précisait ensuite sa pensée en disant que les rapports entre Staline et Trotski recélaient un danger de scission, laquelle « pourrait être évitée, ce à quoi devrait entre autres servir, à mon avis, un accroissement de l'effectif du Comité central, porté à cinquante ou cent membres». Croyant parer aux excès du pouvoir déjà trop concentré alors en Staline, il allait obtenir un résultat diamétralement contraire, car plus une assemblée est pléthorique, moins elle est réellement capable de délibérer, et plus elle doit transmettre ses prérogatives à un petit nombre qui devient immanquablement une clique. De 1918 à 1922, le Comité central avait compté, sans les suppléants, de quinze à vingtsept membres. Staline n'aurait pas accaparé aussi aisément la dictature s'il avait eu affaire au Comité central d'avant la démesure numérique. Autre anomalie que nous avons plusieurs fois soulignée, « cette situation où Khrouchtchev a été pour ainsi dire le seul porte-parole du régime: ses discours occupent déjà [début de 1963] plus d'un mètre [en épaisseur] sur un rayon de bibliothèque, alors que ceux de Mikoïan, de Souslov, de Kozlov, de Ponomarev et autres membres de la direction collective tiendraient en un mince volume pour la même période » (article «Problèmes soviétiques insolubles », op. cit. ). Auparavant, notre commentaire sur « Le XIIe Congrès à Moscou» avait fait remarquer : « Khrouchtchev a lu le rapport du Comité central, parlant pendant plus de six heures. Le lendemain, il a lu son rapport sur le projet de programme du Parti, tenant la tribune encore six heures et quelque. Il faut croire que l'élite du Parti soit pauvre en hommes de valeur pour que le même doive assumer une telle performance physique et oratoire, forçant l'admiration du public amateur de sport et de théâtre » (Est et Ouest, 1er mars 1963). La seule explication vraisemblable, mais non suffisante, était que Staline a supprimé autour de lui toutes les têtes pensantes ; cependant le Parti n'avait jamais manqué de beaux parleurs capables de déclamer les textes sortis des bureaux compétents, et d'ailleurs en tant qu'orateur, Staline était simplement nul. On a lieu de supposer à présent que Khrouchtchev, exploitant une tradition de servilité tenace, a trop exagéré en éclipsant ses collègues pour occuper si longtemps la scène presque à lui seul. TANT QU'UN ACCORD ne sera pas conclu entre l'ex-premier Secrétaire et le Présidium sur la version-standard à insérer dans l'histoire du Parti pour motiver le changement intervenu au sommet du Secrétariat, on ne pourra que se perdre en conjectures. Si Khrouchtchev s'obstine à ne pas « reconnaître ses erreurs », réelles ou non, et à ne pas porter aux nues ses coéquipiers d'hier, ceux-ci lui imputeront tôt ou tard la responsabilité de tous les mécomptes et déboires subis en commun, la sienne propre et la leur. Dans les -Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL deux cas, la vérité entière ne sera pas dite, non plus que sur Staline, et il faudra déchiffrer laborieusement les proses filandreuses qui serviront de leçon officielle.En attendant, l'éditorial de la Pravda du 17 octobre déjà tant cité (manie de projeter, de conclure trop vite, d'agir avant mûre réflexion; vantardise, hâblerie, bureaucratisme, présomption) reste la seule source de renseignements livrés aux exégètes, lesquels ont à tenir compte aussi des optiques différentes : vérité au-deçà du mur de Berlin, erreur au-delà, l'aphorisme étant applicable désormais aux deux côtés de la frontière soviéto-chinoise devenue plus haute que la grande muraille. Quant au « culte de la personnalité », euphémisme inventé pour ne pas dire franchement « servilité envers le patron », les sectateurs de Lénine embaumé auront du mal à le ranimer au bénéfice du nouveau maître dont la biographie n'offre encore aucun thème d'apologie exaltante. Un certain culte bourgeois de la personnalité plébéienne de Khrouchtchev a pris fin également dans le monde capitaliste. Pendant des années, toute une école de soviétologie avait disserté sur un motif obsédant, à savoir qu'il importe d'aider, de« soutenir» Khrouchtchev, sans quoi il arrivera un malheur. En particulier le Times de New York et l' Observer de Londres se sont distingués dans ces exercices, tout en s'abstenant d'avouer clairement quelle aide, quel « soutien » ils concevaient en faveur de leur «protégé » (cf. entre autres «Situation de Khrouchtchev » dans Est et Ouest du 1er décembre 1962). Apparemment il s'agissait de céder aux exigences de Khrouchtchev à propos de Berlin, de l'O.N.U., de Cuba, du Congo, pour aider, « soutenir » le libéral massacreur de Budapest et de Tiflis, le débonnaire tourmenteur de Pasternak. Il fallait aider, « soutenir » le tolstoïen, le gandhiste constamment menacé par la fraction « chinoise » de Souslov, par les militaires dont Malinovski menait l'offensive. Le Comité central d'octobre dernier n'a pas laissé aux bons bourgeois conseillés par le New York Times et !'Observer le temps d'aider, de «soutenir» le beau-père du gendre, et le malheur annoncé se fait attendre. On l'attendra longtemps, car les cogitations des kremlinologues sur les ennemis de la « coexistence pacifique » à Moscou et les desseins belliqueux des « staliniens »du Comité central ne sont qu'histoires à dormir debout : pas plus sous un Brejnev que sous un Khrouchtchev, les communistes qui provoquent, exploitent et attisent de sanglantes subversions partout où ils ne courent aucun risque majeur ne s'exposeront à une conflagration qui les anéantirait à coup sûr. Si important que soit l'événement qui ouvre une phase nouvelle dans la dépersonnalisation progressive du pouvoir soviétique et par conséquent tend à normaliser une direction collective dont les membres égaux en principe seront un peu plus égaux en fait que par le passé, il n'affecte nullement les positions fondamentales définies par les trois derniers congrès du Parti et les deux conférences internationales de 1957 et 1960. En ce sens, il n'y

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