B. SOUV ARINE demander si tant de remaniements des cadres et du personnel qualifié ne sera pas, en définitive, plus funeste que bénéfique à l'économie soviétique. Il faut croire que de telles considérations, toujours actuelles, ne sont pas arbitraires puisque les échos de Moscou en transmettent d'analogues et que, de temps à autre, des paroles et des résolutions officielles en confirment le bienfondé. Des palliatifs épisodiques n'y changent rien, qu'ils aient été adoptés sous l'autorité de Khrouchtchev ou qu'ils soient de date toute récente, car l'essentiel ne varie pas depuis Staline. D'aucuns s'étonnent en Occident de ne discerner aucune différence entre les premiers discours de Brejnev et les derniers de Khrouchtchev (ceux que celui-ci n'improvisait pas) ; ils se demandent avec une naïveté désarmante pourquoi, dans ces conditions, le Comité central a remplacé l'un par l'autre. Or ces discours sont rédigés par les mêmes scribes des services compétents, comme tous les textes anonymes à prétentions doctrinales, comme le programme du Parti, comme les résolutions et déclarations collectives dictées dans les grandes lignes par les Souslov, les Ponomarev ou autres Ilitchev préposés aux mornes besognes « idéologiques ». Les notions vulgaires de dogmatisme et de libéralisme, d'orthodoxie et de révisionnisme, n'y trouvent point leur compte et il n'y a nulle place là-dedans pour le cc khrouchtchévisme » dénoncé à grand fracas par Mao ou par ses serviteurs, que des perroquets répètent en toutes langues. * ,,.,,. NI DROITE NI GAUCHE à la direction collective, ni fraction cc chinoise », ni influence militaire, ni aucune des hypothèses inconsistantes que fabulent de pontifiants décrypteurs en Europe et en Amérique n'expliquent la retraite de Khrouchtchev. Encore plus absurde est l'idée d'y mêler la guerre ou la paix, sous la formule trompeuse de « coexistence pacifique ».A Moscou comme dans le monde capitaliste, il arrive qu'un dirigeant ait fait son temps sans que cela implique un tournant historicosocial. Incontestablement, Khrouchtchev a joué un rôle majeur dans la transition qui a permis au régime de passer sans crise mortelle de Staline en Br~jnev, mais quelque autre de ses collègues l'aurait fait avec moins de verve, de couleur, d'incohérence, peut-être avec plus de tenue et de capacité persuasive. Il est frappant de constater le nombre insignifiant de personnages proches de Khrouchtchev qui partagent sa disgrâce : des sophismes fondés sur les pointages décelant ses « protégés », ses « créatures », autant en emporte le vent. Certes, d'autres mutations seront inévitables, non seulement sous l'effet des lois biologiques, mais en raison des nouveaux statuts du Parti qui prescrivent le renouvellement périodique des cadres.Kozlov écrivaitau début de 1962 que les deux tiers des cadresavaientalors été renouvelés ; peu d'anciensdoiventrester,du troisième tien, à la fin de 1964, et la pousséede bas en haut Biblioteca Gino Bianco 327 se fera nécessairement sentir dans l'oligarchie jusqu'au Comité central, puis jusqu'au noyau dirigeant recruté par cooptation. Le meilleur moyen de n'y rien comprendre serait d'appliquer à ce phénomène spécifiquement soviétique des critères de politique occidentale. Tantôt sous l'impulsion de son tempérament, tantôt mû par un sentiment de supériorité sur ses collègues, Khrouchtchev a sans doute pris des initiatives incongrues en politique extérieure sans consulter personne, notamment en chargeant de mission à Washington, à Rome, à Bonn, son piètre gendre par trop gonflé d'importance. La direction collective a dû mettre un terme à ces pratiques risquées où les dommages sur le plan des relations internationales se combinent avec les abus dans l'ordre des affaires intérieures quand les organes qualifiés perdent voix au chapitre. En outre, il est possible (mais non encore certain) que Khrouchtchev soit rendu personnellement responsable des convocations du Comité central élargi outre mesure de façon à submerger le noyau dirigeant (lequel aurait laissé faire sans réagir? que craignaient Brejnev, Mikoïan, Souslov et consorts d'un collègue réputé « libéral » par excellence?). Notre article d' Est et Ouest sur cc Les surprises du Comité central» faisait remarquer : « Il va de soi qu'une assemblée réunissant plusieurs centaines de fonctionnaires, parfois de mille à deux mille, n'est pas réellement délibérante : elle est sélectionnée, chapitrée, endoctrinée, conduite par un noyau dirigeant. » A propos de la session de décembre 1963, avec ses quelque six mille assistants, un autre de nos articles, cc Khrouchtchev dixit» (Est et Ouest, 1er janvier 1964), y insiste : « Il faut noter qu'une réunion du Comité central élargie à six mille personnes est une grossière caricature d'assemblée délibérante. Il y a là nécessairement un noyau dirigeant restreint qui se partage les rôles et un vaste troupeau de suiveurs qui reçoit la bonne parole ... » Maintenant la question se pose : le noyau dirigeant se laissait-il terroriser par Khrouchtchev comme naguère par Staline? ou bien le « libéral » démissionnaire par persuasion incarnait-il le noyau dirigeant à lui tout seul? question qui reste provisoirement sans réponse. Il n'est pas nécessaire de démontrer qu'un Comité central où participent mille, deux mille, voire jusqu'à six mille individus, cesse de remplir sa fonction statutaire. Aux deux dernières sessions d'octobre et novembre n'ont pas été convoqués les trois cent trente membres et suppléants, pas même tous les titulaires, mais c'était encore trop pour qu'une telle assemblée ne délègue pas ses pouvoirs à un cercle restreint d'hommes de confiance. On comprend ainsi pourquoi le Présidium et le Secrétariat deviennent le gouvernement véritable. Lénine a été le premier responsable de l'hypertrophie du Comité central, s1 surprenant que cela paraisse de la part d'un homme aussi doué de sens pratique. Dans sa « Lettre au Congrès » connue sous le nom de «Testament», dictée du 23 au 26 décembre 1922, il proposait d'abord de
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