Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

CHRONIQÇE Mœurs des diurnales Je ne comprends pas qu'une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût. CH. BAUDELAIRE. LE CONGRÈDSESINSTITUTEURréSu,ni à Lille, a voté le 8 juillet dernier une motion dénonçant la « dégradation progressive » de la presse, cette presse qui « manifeste un mépris certain de ses lecteurs » selon l'expression du rapporteur sur L'Université face aux moyens d'information des masses. Le Congrès a condamné avec raison « la part grandissante faite aux faits-divers, (...) à la publicité, à l'exploitation de la crédulité et de la sentimentalité publiques », toutes choses qui contribuent « à un recul profond de l'esprit civique, à une négation de la véritable culture ... ». En conséquence, le Congrès « affirme l'impérieuse nécessité de mettre l'information au service de la nation et de l'homme en libérant la presse de l'emprise du pouvoir, des puissances d'argent et des contraintes financières publicitaires ». Nous avons abrégé, à regret, car il faut ici se limiter, mais on devra revenir et insister sur ce sujet d'importance majeure en citant plus largement la motion des instituteurs qui dit excellemment certaines choses et moins bien certaines autres, lesquelles mériteront discussion. Il est trop évident qu'aucun progrès des sociétés actuelles et qu'aucun espoir de parer aux dangers mortels qui les menacent ne sont concevables tant que des dispositions draconiennes ne seront pas appliquées aux entreprises qui, avec les moyens techniques modernes, trompent sans vergogne et abêtissent leur clientèle pour augmenter les tirages, gagner de l'influence et gonfler leur chiffre d'affaires. Baudelaire n'avait rien vu, qui s'indignait si fort il y a plus d'un siècle, et quant à Marcel Schwob, ses Di.urnales paraissent des enfants de chœur à côté des folliculaires de nos jours. A telles enseignes que des voix s'élèvent de tous côtés pour préconiser des mesures de salubrité publique à l'encontre du dévergondage cynique et multiforme dont les instituteurs s'émeuvent un peu tard. On lit dans le Figaro du 17 septembre, sur cinq colonnes, ce titre qui se suffit à lui-même : Biblioteca Gino Bianco « Audience solennelle de rentrée judiciaire présidée par M. Foyer, garde des Sceaux. Le conseiller Laroque préconise un Code de la presse et un Conseil de !'Ordre des journalistes. » Dans le Monde du 17 novembre: « Le syndicat national des journalistes demande des mesures garantissant la liberté et la moralité de la presse. » Dans le même journal du 1er décembre, à propos d'un colloque tenu à la Fondation nationale des Sciences politiques : « Deux journées d'études sur le droit de la presse et de l'information. » Encore dans le Monde, 23 décembre : « Plusieurs associations de journalistes ont mis au point un projet de Code d'honneur de la presse. » Etc. On voit quelles préoccupations et inquiétudes se font jour, résumées dans les mots liberté, moralité, honneur, Code. La liberté absolue n'existe pas, il n'y a quç des libertés relatives, mais encore n'existent-elles qu'avec les moyens pratiques de les exercer; alors que la moralité, l'honneur peuvent s'accorder à des règles, se définir dans des codes. Ce n'est pas le désir qui nous manque d'analyser et commenter les propositions avancées par les uns et les autres, mais en deux pages nous devons cette fois mettre l'accent sur l'essentiel, sur le mal des maux dont personne apparemment ne se soucie, le cancer pseudo-communiste qui prolifère à la faveur de l'abaissement, de la vulgarité, de la complaisance, de l'immoralité de la presse dans son ensemble (les rares exceptions ne se sentiront pas atteintes). Il est vrai que le communisme perverti pose avant tout une question de morale, non de politique. Si la publicité est une plaie, si les « puissances d'argent» sont un fléau, le Congrès des instituteurs ne doit pourtant pas méconnaître la puissance impérialiste acharnée à conquérir la planète, à obtenir sans guerre ouverte les fruits d'une victoire (comme l'a dit pertinemment Churchill) et assurée d'y parvenir à la longue par le désarmement moral et intellectuel que prêchent partout ses complices plus ou moins conscients sous le couvert du neutralisme, du progressisme, du libéralisme, de l'humanitarisme, au besoin du bouddhisme et d'autres ismes. Puissance d'argent autant que politique, d'ailleurs, ce qui ne veut pas dire que ses serviteurs de tous poils passent à la caisse pour

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