QUELQUES LIVRES mais qu'il a placé au-dessus de cet «esprit objectif» l'« Esprit absolu » manifesté par l'art, la religion et la philosophie. Cet Esprit absolu apparaissait déjà dans la Phénoménologie de l' Esprit comme un point de fuite et d'évasion au-dessus des vicissitudes historiques. D'autre part, Hegel n'a jamais parlé d'« Etat universel et homogène», encore moins de la « fin de !'Histoire », notions propres au commentateur, vivement impressionné par le stalinisme au temps de ses leçons, mais que l'on a fini par attribuer au texte commenté. Contre M. Bruaire, on fera valoir que la hiérarchie des formes de l'Esprit absolu telle qu'elle est établie dans l' Encyclopédie de Hegel place nettement la philosophie au-dessus de la religion. Il est très vrai de dire (et M. Kojève ne s'est pas fait faute de l'admettre) qu'aucun système de philosophie ne donne à la religion chrétienne une place telle que celle que lui a réservée Hegel. Mais cela ne veut pas dire qu'il fut lui-même un meilleur chrétien que les philosophes classiques qui ont philosophé en marge du christianisme sans prétendre intégrer à leur philosophie les mystères de la foi. L'originalité théologique de Hegel, se réclamant de la maxime de saint Anselme antérieure à la formation de la scolastique thomiste et selon laquelle cc la foi cherche l'intelligence (fides quarens intellectum) », a été de vouloir abolir toute différence entre théologie révélée et théologie rationnelle. Mais la hiérarchie établie entre religion et philosophie ne laisse aucun doute sur le sens donné à cette abolition. Contrairement à ce que voudrait suggérer M. Bruaire, c'est la construction philosophique qui absorbe la manifestation religieuse de la foi, reléguée sur un plan inférieur, ce n'est pas l'inverse. On peut donc renvoyer les deux interprétations dos à dos. A la source de ce problème d'exégèse, il faut placer l'ambiguïté systématiquement entretenue par les textes hégéliens entre l'esprit divin et l'esprit humain, que rien finalement n'autorise plus à distinguer. Feuerbach tranchera en déclarant carrément que Dieu c'est l'homme qui se prend P.Ourun autre, mais, faisant cesser l'ambiguïté, il cesse du même coup d'être hégélien. L'enthousiasme hégélien de M. Bruaire, catholique fidèle et même soucieux d'apologétique, comme le montre sa seconde thèse sur L' Affirmation de Dieu (Ed. du Seuil, 1964), le conduit parfois à des concessions surprenantes. Tout en continuant à présenter un Hegel chrétien, il expose sans la moindre inquiétude apparente la thèse bien connue du philosophe sur l'opportunité de mettre fin à la séparation du spirituel et du temporel, conception manifestement opposée à la parole du Christ concernant Dieu et César. Il lw semblerait normal que l'Eglise soit finalement intégrée dans l'Etat et il note avec satisfaction que « l'administration que Hegel appelle "classe universelle", médiatrice du Prince et des individus, rappelle le clergé hiérarchique catholique » (p. 167). Le « catholicisme » entendu de cette façon amène M. Bruaire à se rejeter sur l'• Etat WlÎversel » de M. Koj~e, qu'il attribue Biblioteca Gino Bianco 379 à Hegel. Un dernier chapitre, qui paraît avoir été surajouté, a cependant pour objet d'établir cc en quel sens la foi chrétienne récuse la philosophie de Hegel», mais on peut remarquer que le contenu, qui restaure la distinction traditionnellement catholique de la théologie révélée et de la théologie rationnelle, est beaucoup moins énergique que le titre. Au cours de l'ouvrage, l'allure post-chrétienne plutôt que chrétienne de certaines spéculations hégéliennes a été expliquée par la conviction qu'aurait nourrie Hegel de se trouver à la « fin de !'Histoire », et par conséquent aux approches de la venue du Paraclet. Cependant nous avons dit plus haut qu'il fallait rendre à M. Kojève son bien, le Paraclet en question ne pouvant plus être Napoléon et ne pouvant être déjà Staline. Il n'est pas douteux qu'une tentation hégélienne s'exerce sur la jeune théologie chrétienne, tentation plus distinguée que celle du néo-évolutionnisme de Teilhard de Chardin. Comme l'autre, la tentation hégélienne s'inspire en partie de la lassitude que fait éprouver la férule archaïque du thomisme, en partie de motifs politiques comme le désir de trouver un compromis entre christianisme et marxisme, ce qui est aller un peu loin dans l'œcuménisme, mais correspond à un souci réel. Il faut toutefois noter que c'est un des néo-hégéliens les plus distingués, le R. P. Fessard s.j., qui a su juger avec le plus de lucidité le fondement idéologique de l'amertume des prêtres ouvriers ( De l'actualité historique, compte rendu dans le Contrat social de septembre 1960, p. 314). Aussi bien n'a-t-il jamais prétendu, à notre connaissance, que Hegel était un chrétien zélé, pas plus que Thomas d'Aquin n'a voulu soutenir qu'Aristote avait été baptisé. Il n'en reste pas moins que le travail de M. Bruaire est aussi consciencieux que digne d'intérêt et qu'il servira d'utile contrepoids à la version trop courante d'un Hegel marxiste-léniniste avant la lettre. Luc GUÉRIN. Déceptions et regrets GEORGES IZARD : Lettre affligée au général de Gaulle. Paris 1964, Robert Laffont éd., 96 pp. IL Y A UN AN (Contrat social, nov.-déc. 1963), nous avions rendu compte de la brochure suggestive du regretté René Courtin sur ce qu'il nommait avec raison << le labyrinthe de la politique gaulliste ». Aujourd'hui, les inquiétudes du professeur Courtin trouvent une swte naturelle dans la Lettre de Georges Izard. Mais depuis un an la position internationale de la France s'est profondément modifiée : sa présence dans l'O.T.A.N. est de plus en plus théorique, de moins en moins active, et l'on parle ouvertement de la possibilité d'une rupture
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