378 pour les hommes, et aucune indulgence pour certaines attitudes. Venant après Mickiewicz, Herzen, Dostoïevski et Tchékhov, l'auteur n'innove point en cela. Il y a la rencontre, à Fontaibebleau, de son parent prestigieux, poète et mage, dont la renommée n'a point empêché ce Milosz-ci de se faire , un prenom. . Sur le marxisme, des jugements, ou plutôt des impressions qui ont leur intérêt : Hamlet s'interroge, flirte et s'efface, farouchement préoccupé de la sauvegarde de sa chapelle intérieure, peu disposé à en permettre la profanation par qui que ce soit: « Je m'orientais moins par la raison que par le flair (lemien ou celui de l'époque), et celui-cime mettait en garde contre tout -isme, création provisoire conservant l'empreinte du xrxe siècle (...). Si je lisais des textes sacrés comme l' Essence de la religion de Feuerbach, l' Anti-Dühring d'Engels, Matérialisme et Empiriocriticisme de Lénine, c'était toujours de façon littéraire, et je ne pouvais m'empêcher d'imaginer des barbes, des moustaches et des redingotes - autrement dit, il s'y mêlait quelque humour... D'un autre côté, l' "expérience marxiste", à la vérité très complexe, m'a été nécessaire, et j'arrive rarement à trouver langue commune avec ceux qui ne sont pas passés par là. » Puis vient la guerre ; c'est l'occupation de Varsovie, la survie difficile des poètes en hibernation, le carnage du ghetto, l'anéantissement de la ville. Une nouvelle Pologne est née. C. Milosz, parce qu'il a ses racines à l'Est, croira quelque temps pouvoir la servir. Il gardera toutefois suffisamment de liberté d'esprit pour se moquer in petto de ces dames de la haute société de Washington ou de Paris qui, dans les réceptions d'ambassade, « s'approchaient d'un Rouge avec un délicieux frisson », ou des grands hommes de gauche, écrivains et artistes d'Occident, qui buvaient chacune des paroles d'un diplomate soviétique, « comme des enfants· sages devant le professeur ». Tout cela est finement vu. . Après l'ambassade de Washington, C. Milosz regagne son pays (« Je claquais des dents, à NewYork, au moment d'embarquer ... »). Suit une savoureuse description de la Pologne du temps de Staline... et nous retrouvons l'auteur à Paris. Il a enfin choisi, ou peut-être les événements pour lui : il est très discret sur cette période. On sait par ailleurs qu'il enseigne aujourd'hui en Californie. ·Le récit de C. Milosz est franc, honnête, à la mesure même des exigences intellectuelles et morales de l'auteur. Il nous montre un type possible d'Européen (del' Atlantique à l'Oural ...) que l'intelligence et la finesse rendent à chaque page plus attachant. M. Czeslaw Milosz inspire le respect. Il faut souhaiter à cet esprit lucide et ~échiré d'avoir enfin découvert, après tant d'interrogations, un havre bienfaisant et certaine forme de bonheur. E. MANINT. ·Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Un Hegel chrétien CLAUDE BRUAIRE : Logique et religion chrétienne dans la philosophie de Hegel. Paris 1964, Ed. du Seuil, 183 pp. A LA FIN du xixe siècle déjà, Villiers de l'IsleAdam tentait de prouver à Mallarmé que la philosophie hégélienne pouvait s'interpréter dans un sens favorable à l'orthodoxie chrétienne, voire catholique. C'est la thèse que M. Claude Bruaire reprend aujourd'hui à l'usage de notre Sorbonne, preuve que la mode hégélienne que nous avons ressuscitée n'aboutit pas à un entier renouvellement des questions disputées. En faisant abstraction du catholicisme qu'il serait tout de même abusif de rapprocher de Hegel, reconnaissons que la thèse de l'auteur des Contes cruels et de M. Bruaire est conforme à la lettre des textes hégéliens, notamment à ceux de la Logique et des Leçons sur la Philosophie de la religion. Il convient toutefois de se souvenir que M. Alexandre Kojève, dans ses leçons sur la Phénoménologie de l' Esprit, recueillies par Raymond Queneau sous le titre: Introduction à la philosophie de Hegel (Gallimard, I 94 7), a pu, en faisant valoir l'esprit plutôt que la lettre, interpréter systématiquement Hegel dans le sens de l'humanisme athée. C'est la lecture la plus couramment retenue de nos jours parce qu'elle autorise la réintroduction du marxisme dans le système hégélien, tout de même plus reluisant que le simple matérialisme, sans passer par l'intermédiaire de Feuerbach, que l'on s'accorde décidément à laisser dans l'ombre. M. Bruaire se signalant par son non-conformisme à l'égard de cette lecture, il faut cependant regretter qu'il n'ait pas cru devoir aborder de front la discussion de l'interprétation opposée à la sienne et qu'il ait, lui aussi, négligé Feuerbach. Il est difficile, et sans doute impossible, de trancher lorsqu'il s'agit d'un philosophe qui, comme Hegel, pratique systématiquement le jeu du « oui » et du « non » en se défendant de favoriser un côté plutôt qu'un autre, puisqu'il prétend se situer au centre supérieur. On sait que l'hégélianisme a donné naissance à un courant dit « de droite » et à un courant dit « de gauche » qui peuvent être tous deux réputés infidèles bien qu'ils puissent se prévaloir également de cautions littérales et spirituelles. M. Bruaire rénove-t-il l' « hégélianisme de droite » ? Oui, sans doute, sous l'aspect religieux; pas nécessairement sous l'aspect politique. Mais le retour du marxisme stalinisé à l'étatisme hégélien a fini par nous faire perdre, sous ce rapport, le sens de la droite et de la gauche. La question reste donc de savoir si Hegel était vraiment chrétien. Contre l'interprétation de M. Kojève, aboutissant à présenter un Hegel exclusivement soucieux du temporel, on pouvait faire valoir que le philosophe n'a pas arrêté la construction de son système au niveau de l'« esprit objectif» en le faisant culminer dans l'apothéose de l'Etat,
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