376 révolutionnaire. Il est donc judicieux d'étudier en termes d'organisation l'histoire d'un parti dont le bolchévisme a réussi à briser l'unité. Un certain illogisme de Lénine sur le plan des idées ne peut s'expliquer que par sa préoccupation constante de nouer des alliancespolitiques et sociales,au moyen desquelles il espérait parvenir au pouvoir. Cette désinvolture à l'égard des idées constitue un facteur fondamental de toute l'évolution de Lénine et lui confère une certaine logique interne. Le récit de M. Keep est centré sur la révolution de 1905, à ses yeux l'événement principal de la première période de l'histoire du parti. Après l'exposé, bref mais pénétrant, des débuts du mouvement durant les dernières années du XIXesiècle, l'auteur nous donne l'histoire détaillée de l'organisation de l' Iskra. Il ne retrace pas seulement l'histoire, assez bien connue, des conflits entre les rédacteurs de l' Iskra, mais aussi celle, moins connue, des comités locaux dans tout le pays. A propos de l'attitude des social-démocrates en 1905, il souligne de manière fort intéressante les fluctuations des socialistes à l'égard des soviets considérés comme une base éventuelle d'action politique. Quant à l'échec des social-démocrates pour mener à bonne fin la révolution de 1905, M. Keep l'attribue à une erreur de jugement sur la situation. Non seulement leurs contacts avec les «masses» étaient plus faibles qu'ils ne le croyaient, mais le type de révolution envisagépar eux n'était possible que dans un pays non européen, sous-développé ; en traitant la Russie comme un pays européen, soumis aux modèles occidentaux d'évolution historique, les social-démocrates ont en fait manqué leur chance. Cette argumentation n'est guère convaincante : comment une révolution aurait-elle pu réussir en Russie aussi longt~mps que_le pays était en paix et que la monarchie, tant bien que mal, continuait à régner? La précaution avec laquelle l'auteur emploie des termes aussi rebattus que «marxisme légal» ou « économisme » n'est pas le moindre mérite de cette excellente étude. Lorsqu'il est contraint d'en user, M. Keep étudie soigneusementle sens qu'ils pouvaient avoir à l'époque, évitant par là les pièges où donnent des esprits moins avertis. Car, dans l'emploi courant, on emprunte bien souvent ce~ termes aux écrits polémiques de Lénine, ce qw est une source de confusion. RICHARD PIPES. ,, Libéralisme et panslavisme GEORGES LUCIAN!: Panslavisme et solidarit! slave au X/Xe siècle. La Société des Slaves unis (1823-1825). Université de Bordeaux, 1963, XIV-286 pp. CE LIVRE DE M. GEORGES LUCIANI,thèse principale de doctorat, est con~acréà l'étude ~u mouvement panslaviste au debut du xixe siècle, et •Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL plus précisément à l'activivé d'une des nombreuses sociétés secrètes que l'on vit naître en cette période d'effervescence des esprits : la Société des Slaves unis. Dans l'introduction, l'auteur examine et délimite avec soin les différentes acceptions du panslavisme : depuis le vague sentiment, ,natur~l à l'époque romantique, d'une comm1;l11a~~e e~q~~ et linguistique des Slaves dont 1urute avait ete brisée par les vicissitudes de l'histoire, jusqu'à l'absorption politique, par l'une ou l'au~e des grandes nations slaves (Pologne ou Russie), de peuples slaves épars, en passant par différents systèmes de fédérations plus ou moins lâches. Tout en reconnaissant l'influence de Herder, M. Luciani insiste sur le rôle des Polonaisdans la prise de conscience de l'unité slave. Il aborde ensuite l'histoire proprement dite de la Société des Slaves unis, fondée en 1823 par les frères " Borissovet Julian Lublinski ; il en précise les buts et l'esprit, qu'il compare à ceux des sociétés analogues, de différentes obédiences, qui p~ulaient à l'époque, notamment la franc-maçonn~ne. Audelà de rituels naïfs et de sermentsgrandiloquents - tout cela non dépourvu de générosité, - les programmes de ces groupements se recoupent : instauration d'un régime démocratique, octroi - voire conquête - d'une Constitution, libéralisme, abolition du servage, etc. ~ais rimprécision même de ces thèses sur certains pomts sera à l'origine de bien des malentendus, et rendra difficile l'unité d'action, le moment venu. Le livre II, un peu à part, et que l'on verrait aussi bien, sans dommagepour l'unité de l'ouvrage, précéder le _livreI, étudie le~ origines pol~nai~es de l'idéologie des Slaves urus, à travers 1actJ.on de nombreuses personnalités : hommes politiques (commeA. Czartoryski,Polonais de l'entourage d'Alexandre Jer), philologue~, histoi:ïens, archéologues, dont les travaux devaient souligner la communauté de culture, sinon d'aspirations, des différents peuples slaves. Dans le livre III, nous assistons à la rencontre des Slaves unis et de la Société du Sud, aileextrémiste du décembrisme. Après discussions et marchandages, la fusion sera décidée, mais des ~usceptibilités et des questions de personnes laisseront subsister de fâcheuses divergences. Dès lors, le destin de la Société des Slaves unis est scellé : il se confond avec celui des décembristes du Sud~ En des pages pleines de mouvement, le livre IV retrace le déclenchement de l'action à la faveur de l'interrègne de décembre 1825, les péripéties, et enfin la faillite de trop généreuses espérances. Les tergiversations d'un Troubetskoï à SaintPétersbourg, d'un Serge Mouraviev dans le Sud, conduiront le mouvement à l'échec que l'on sait. Slaves unis,-ils le seront surtout dans le châtiment commun, auquel les uns et les autres sauront faire face, mais avec des fortunes 1diverses. On glissera volontiers sur des inexactitudes bénignes (p. 96 : « sacré prêtre» pour « ordonné
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