Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

QUELQUES LIVRES Organisation et stratégie J. L. H. KEEP : The Rise of Social Democracy in Russia. Clarendon Press : Oxford University Press, 1963, x-334 pp. LES OUVRAGESpubliés en différentes langues occidentales concernant l'histoire de la socialdémocratie russe se sont multipliés au point que l'on peut dire désormais qu'ils représentent une contribution majeure à l'historiographie russe. Les monographies parues durant les quinze dernières années (dont un bon nombre en anglais), sont dans l'ensemble supérieures, sur le plan des faits et de l'analyse, à celles qui ont été publiées en russe. Cette situation est probablement sans exemple, car en règle générale un sujet aussi spécial que l'histoire d'un parti constitue un domaine réservé aux historiens du pays intéressé. La manière dont les historiens occidentaux ont abordé la question laisse apparaître une évolution intéressante. Les premiers chercheurs, tels que Edmund Wilson, Bertram Wolfe ou Boris Schub, ont surtout étudié les aspects biographiques. En partie au moins, cette orientation peut s'expliquer par le rôle personnel joué par les auteurs dans les mouvements communiste et social-démocrate. A partir de 1950, d'autres auteurs, pour la plupart de jeunes universitaires, s'intéressent surtout à des thèmes ou à des controverses d'ordre philosophique ou idéologique ; ainsi les ouvrages de Donald Treadgold, Leopold Haimson, Robert Daniels et Richard Kindersley. Enfin, depuis trois ou quatre ans (par exemple, dans l'étude en alle~~d ~e Dietnch Geyer et la récente monographie ecr1te par l'auteur du présent compte rendu), on a principalement insisté sur les questions concernant l'organisation du parti. L'ouvrage de M. Keep est une heureuse contribution à la bibliographie, déjà très riche, consacrée à l'histoire des organisations politiques. Bien que l'auteur accorde toute son attention aux formulations et aux débats idéologiques, il sem~le,.tout au long de l'ouvrage, J>rendre comme pnnc1pe que l'idéologie - aumoins dans le mouvementbolchéBiblioteca Gino Bianco vique - a souvent servi à rationaliser la lutte pour le pouvoir, aussi bien dans les limites étroit~~ du parti que dans le champ plus vaste de la politJ.que nationale. C'est de ce point de vue que l'auteur étudie plusieurs épisodes de l'histoire du parti. Il ne se laisse pas impressionner par la vigueur et la hardiesse avec lesquelles l' Iskra menait sa lutte pour l'hégémonie idéologique dans le mouvement anti-autocratique, car une étude approfondie du réseau des organisations de l' Iskra en Russie fait apparaître sa faiblesse numérique et son isolement dans le monde du travail. Refusant par conséquent de considérer le début des années I 900 comme la « période de l'Iskra » dans le mouvement du travail, l'auteur ne craint pas d'affirmer que, pendant ces années, « le principal phénomène de la politique sociale en Russie » a été le mouvement syndical organisé par un policier, Zoubatov. De même, quand il montre Lénine « découvrant » que le paysan est un allié éventuel de l'ouvrier révolutionnaire, M. Keep s'intéresse moins à l'évolution de l'idéologie de Lénine qu'aux motifs stratégiques qui l'ont poussé à s'appuyer sur les paysans plutôt que sur les classes moyennes. A propos du conflit entre menchéviks et bolchéviks, M. Keep s'en tient au même point de vue : Il est permis de douter que le débat idéologique ait pu avoir quelque influence sur l'issue de la lutte acharnée que se livrèrent les bolchéviks et les menchéviks durant toute l'année 1905 pour la conquête du pouvoir. Cette lutte était surtout menée par des moyens « administratifs », que ceux qui connaissaient bien l'histoire antérieure du parti considéraient désormais comme presque normaux (p. 202). Cette manière d'envisager l'histoire de la socialdémocratie russe nous paraît saine et particulièrement révélatrice. Pour Lénine, les questions d'or~anisation étaient de la plus haute importance, inspirant à la fois la stratégie et la tactique de la lutte révolutionnaire. (On se rappelle sa déclaration, lors des négociations de Brest-Litovsk, pour persuader ses compagnons que le temps gagné était plus imeortant que les territoires perdus : « Nous, bolchéviks, nous sommes avant tout des hommes d'organisation.») En fait, le bolchévisme était et demeure avant tout une technique d'organisation

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