<. rev11e !tistorÎ'JUe et critique Jes faits et Jes iJées Nov.-Déc. 1964 Vol. VIII, N° 6 A L'EST, RIEN DE NOUVEAU par B. Souvarine JUSQU'A PRÉSENT, les mesures gouvernementales prises à Moscou depuis la démission forcée de Khrouchtchev ont démenti toutes les explications et suppositions élucubrées par les commentateurs occidentaux (et chinois) pour motiver cette péripétie de politique intérieure et lui conférer abusivement l'ampleur d'un événement historico-universel. A part une dérisoire distribution de farine aux Moscovites, deux décisions notables ont suivi l'éviction du premier Secrétaire. L'une accorde une marge accrue de liberté économique aux individus et aux familles qui cultivent une parcelle de terre en usufruit et y élèvent un peu de bétail. L'autre rétablit l'organisation interne du Parti dans son état antérieur à la réforme de novembre 1962 qui la divisait en deux sections affectées séparément à l'industrie et à l'agriculture pour coiffer respectivement les institutions spécialisées. Ni l'une ni l'autre ne figurent au catalogue des changements prévus par les experts occidentaux extra-lucides. Ce sont des réformes empiriques, non du « système », mais dans le système, comme le pouvoir soviétique ne cesse d'en décréter, quitte à les abolir, puis à recommencer, depuis bientôt un demi-siècle. Si Khrouchtchev avait présidé au nouvel élargissement du secteur agricole privé, ce dont il est parfaitement capable, le chœur des badauds eût célébré à l'envi une telle manifestation de libéralisme, voire de « khrouchtchévisme ». Mais comme la décision intervient sans lui, le chœur interloqué ne sait que dire, après avoir prévu « raidissement » et « durcissement » redoutables. Notons qu'en févrierdernier,Khrouchtchevlaissaitentendre que les terresci-devantviergesne seraientbientôtplus cultivées en céréales et préconisaitd'utiliser « la grandeforcedu stimulantmatériel,de payermieux Biblioteca Gino Bianco celui qui travaille plus », ajoutant quelques jours plus tard qu'il faut « lutter contre le nivellement, s'engager hardiment sur la voie du stimulant matériel, selon les critères de quantité et de qualité du travail fourni (...). On peut économiser sur tout, sauf sur la rétribution de ceux qui produisent » (cité dans notre article du Figaroagricole, n° d'avril 1964). Khrouchtchev en venait donc à spéculer sur l'intérêt privé, tout en adoptant contre le «nivellement» une thèse de Staline. D'autre part, il est constant que la petite culture personnelle des paysans, des ouvriers et des employés sur leurs lopins dépasse de beaucoup la productivité des fermes étatiques et collectives, malgré l'extrême disproportion des moyens utilisés de part et d'autre; avec environ 3 % des surfaces cultivées et un outillage rudimentaire, le secteur privé produit bien plus et bien mieux que le secteur collectif qui dispose en totalité des terres à pâturages, de l'outillage mécanique, des cadres agronomiques, des subventions budgétaires, de toute l'aide possible octroyée par l'Etat (cf. dans le Figaroagricole de juillet 1964 les chiffres effarants de notre article : «Agriculture collective et production privée »). Il n'est donc pas étonnant que le marasme agricole permanent, attesté encore cette année par de nouveaux achats soviétiques de blé capitaliste au Canada, contraigne le noyau dirigeant du Parti à de nouvelles concessions à l'initiative privée, à l'intérêt individuel, quel que soit le premier Secrétaire. L'annulation de la réorganisation par la désorganisation de l'organisation du Parti accomplie en vertu de la décision prise en novembre 1962, non par Khrouchtchev, mais par le Comité central, même si Khrouchtchev en fut le promoteur, ne peut surprendre que les savants spécialistes des
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