366 Les activistes CE QUI précède vaut pour la grande majorité des étudiants universitaires. Reste une petite minorité d'activistes qui, de bon gré, et même avec enthousiasme, s'identifient aux objectifs du régime. Ils prennent l'idéologie très au sérieux, que ce soit dans l'intérêt de leur carrière ou par conviction sincère. Ce sont les « agitateurs », la plupart d'entre eux se destinant à faire carrière dans l' «appareil », non pas nécessairement dans le Parti, mais également dans les « organisations publiques» ou les établissements d'enseignement. Le Komsomol est leur domaine incontesté. (Dans la pratique, l'organisation du Parti fait nettement la distinction entre les membres ordinaires du Komsomol, qui comprennent la grande majorité des étudiants universitaires, et les activistes du Komsomol.) Par le truchement du Komsomol, les activistes dominent les autres groupements de jeunesse qui jouent le rôle d'agents de contrôle social et de recrutement et qui aident à rallier l'opinion. Les activistes fixent les normes de comportement et d'opinion, et ils jouissent généralement du pouvoir de châtier les non-conformistes. L'université a son propre système de patrouilles volontaires de police ( droujiny) et de « tribunaux de camarades », qui sont sous les ordres des activistes du Komsomol, de même qu'en dehors de l'université ces mêmes institutions sont dirigées par le Parti. Leur but est d'imposer la conformité dans les goûts et le comportement, par des moyens qui vont de la persuasion à l'intimidation pure et simple, les normes appliquées relevant du conservatisme social. En fait, les tribunaux de camarades sont couramment qualifiés par les étudiants de « conspiration contre la jeune génération». Officiellement chargés d'établir une « attitude d'intolérance » à l'égard de toute déviation, leur objectif est évidemment de prouver la puissance de l'action collective (sous le contrôle strict du Komsomol) contre les non-conformistes 10 • Tout tribunal de camarades jouit de pouvoirs étendus lui permettant de « censurer » ceux qui violent les règles du Komsomol et de leur donner des «avertissements», mais ces règles sont assez vagues. En pratique, tout étudiant dont la tenue vestimentaire ou la conduite sont « différents », sous quelque rapport que ce soit, peut être dénoncé comme stiliaga et appelé à comparaître devant le tribunal de camarades de l'université. La sanction ultime, à savoir l'expulsion de l'université, ne relève pas légalement du tribunal de camarades, mais le verdict de ce dernier et ses recommandations ont beaucoup de poids auprès des doyens. La tâche de la droujina est de maintenir l'ordre et de faire appliquer les « règles de la vie communautaire socialiste ». Dans la pratique, l'interpré10. Darrell P. Hamrner : « Law Enforcement, Social Control, and the Withering of the State: Recent Soviet Experience », in Soviet Studies, Glasgow, avril 1963, p. 379. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE tation de ces règles relève principalement de la droujina elle-même. Une droujina universitaire est une patrouille, comptant d'ordinaire cinq ou six hommes, soigneusement choisis et désignés parce qu'ils sont bien notés au Komsomol. Leur insigne d'autorité est un étroit brassard rouge, porté sur la manche gauche. Un incident survenu à Moscou en 1961 a démontré la puissance de la droujina. Un étudiant soviétique, qui se rendait avec un étudiant étranger à une fête donnée à l'université, fut repéré par la patrouille et conduit dans une antichambre où on le questionna. Bouleversé, il fit de rapides excuses et rentra chez lui. Par la suite, signalé au doyen, il fut de nouveau interrogé pour avoir «frayé avec des étrangers », enfin relâché après avoir reçu un avertissement sévère. Or il n'y a rien dans les lois soviétiques, ni dans les règles universitaires, ni même dans les règles du Komsomol, qui interdise la fréquentation des étrangers. /, Tout venait du Komsomol, agissant par le truchement de la droujina, interprétant les « règles de la vie communautaire socialiste » et mettant en vigueur sa propre conception <lesditesrègles. Si les activistes se bornaient à empêcher la mauvaise conduite et à punir le vice, ils pourraient jouer un rôle utile - sous réserve que des normes soient clairement établies quant à ce qui doit être considéré comme «mauvaise conduite ». Mais la fonction réelle de l'élément activiste est de servir de moyen de contrôle et de communication entre le Parti et la masse des étudiants universitaires. Ici, les activistes sont de beaucoup plus efficaces que le système d'endoctrinement, car alors que les cours obligatoires traitant de politique peuvent être pris à la légère, on ne peut échapper aux activistes. Ils ont le droit de dénoncer, et le devoir d'informer. Ils ont aussi le pouvoir de récompenser, attendu que bon nombre des privilèges de la vie universitaire sont liés directement au « service public » (c'est-à-dire la participation active au Komsomol). Le« service public» peut, par exemple, faire dispenser l'intéressé de l'obligation d'aider aux récoltes d'automne. Trois jeunes activistes de ma connaissance bénéficièrent de cette faveur alors qu'une centaine de leurs camarades étaient envoyés aux champs pour trois semaines. Le « service public », en l'occurrence, consista à organiser un gala (sous les auspices du Komsomol) pour fêter les travailleurs à leur retour de la campagne... Le plus rare de tous les privilèges, un voyage à l'étranger dans une« délégation», dépend presque entièrement de la façon dont l'étudiant est noté au Komsomol. Une délégation estudiantine peut ne pas comHrendre uniquement des activistes, mais elle n'inclura que ceux que les activistes jugent acceptables. L'un des activistes de la délégation sera nommé « chef » ( starchiï) et rendu responsable du comportement des autres touristes. Les activistes de l'université sont voués à l'idéologie officielleparce que c'est là la clé du succès. Une carrière dans le «service public » ou dans l' « appareil » dépend dans une grande mesure de
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