Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

364 diants, à tort ou à raison, soupçonnent leurs camarades de bénéficier d'une protektsiïa (protection), la version universitaire du blat. Corruption et protektsiïa, sans être probablement d'une pratique courante, sont connues de tous et suscitent un certain cynisme à l'égard des examens, du domaine académique en général. La plupart des étudiants n'entrent pas à l'université pour recevoir une instruction plus poussée, mais pour y acquérir une « spécialité », laquelle est, dans le système, la clé de leur avenir. Cela s'accorde tout à fait avec le rôle officielde l'université soviétique qui est censée être un centre de formation plutôt que de recherche et d'érudition 5 • L'étudiant consacre ses cinq années d'études universitaires à une formation intense, mais ne dépassant guère les limites de sa« spécialité». L'emploi qui lui est assigné lorsqu'il a reçu son diplôme dépend plus de la façon dont il est noté comme spécialiste que de son succès dans le domaine général (bien que la protektsiïa soit également importante à ce stade, particulièrement pour obtenir un des postes les plus recherchés). Ce système n'est pas équitable, mais cause peu de ressentiment parmi les étudiants, car, en fin de compte, c'est de lui que dépend leur propre carrière. Il ·est généralement facile de justifier un ordre social dans lequel son propre statut semble assuré. C'est ainsi qu'en parlant d'un de ses camarades, un étudiant peut dire, très naturellement et sans malveillance : « Oh, il a de la protektsiïa... »Par conséquent, on ne devrait pas trouver surprenant que l'étudiant en vienne à attacher une importance personnelle au système existant sans pour cela s'intéresser aucunement à l'idéologie officielle. L'étudiant ambitieux fera un gros effort pour se distinguer dans sa spécialité, mais il ne manifestera guère de zèle pour les cours ayant trait à la politique. Etudes idéologiques DEPUISde nombreuses années, on exige des étudiants soviétiques qu'ils suivent une série de cours de science politique: 1. Fondements du marxisme-léninisme; 2. Economie politique ; 3. Matérialisme dialectique et historique. Ces matières occupent environ un cinquième des heures de cours pendant les quatre premières années d'études 6 • Cependant cet enseignement a 5. Cependant les rapports entre les universités et les instituts de recherche font depuis quelque temps l'objet de débats, les administrateurs d'université ayant déploré le cloisonnement qui existe entre l'enseignement supérieur et la recherche. Le gouvernement semble partager l'opinion des universités, car il a ordonné d'accorder à celles-ci de plus grandes possibilités de poursuivre des travaux de recherche (Pravda, 15 mars 1964.) 6. Ce chiffre est fondé sur le programme des facultés de droit pour 1955-56. La pratique est généralement à peu près la même pour toutes les facultés, outre un cours obligatoire sur l'histoire du Parti, ajouté en 1959, et certaines matières supplémentaires instituées en 1963 (cf. suite du présent article). Aucun compte n'est tenu ici de la propagande politique injectée dans d'autres disciplines telles que les cours de littérature américaine et d'histoire de l'Europe. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE toujours eu tendance à revêtir le caractère d'un monologue de professeur à étudiants, du fait que le programme d'études ne prévoit pas de « travaux pratiques », sur lesquels on insiste tant dans les disciplines essentielles. Au dire de tout le monde, les cours de politique sont les plus ennuyeux du programme. La plupart des étudiants considèrent ces matières comme une litanie qu'il convient d'apprendre et de réciter au moment voulu. Quarante-sept ans après la révolution, le diamat (matérialisme dialectique) est devenu un catéchisme au lieu d'une théorie méritant une analyse critique. Le matérialisme dialectique ne suscite chez la plupart des étudiants aucune stimulation spirituelle ou intellectuelle. Dans le langage des étudiants, la faculté d'histoire du parti est devenue la « faculté de théologie » (kafedra bogosloviïa) ; ceux qui prennent l'endoctrinement au sérieux sont soit des «agitateurs », s'ils en font leur carrière, soit des « idéalistes », si ce sont des naïfs. (Un de mes souvenirs favoris m'a été offert par un étudiant soviétique. C'est un ouvrage officielintitulé Histoire du P.C.U.S., livre très difficile à trouver au moment de sa parution en 1959. Cet étudiant avait eu la chance d'en obtenir un exemplaire pour préparer un examen d'histoire du Parti. Une fois l'examen passé, il n'en avait plus besoin. Il m'avoua que ce livre était banal, dogmatique, que, de toute façon, « la ligne changera d'ici l'année prochaine» et que, par conséquent, il se faisait un plaisir de me le donner.) Il ne faudrait pas en conclure que l'étudiant moyen ne « croit » pas aux principes qui lui sont inculqués à titre de «marxisme-léninisme ». Mais il existe des degrés différents de conviction, tout comme il existe des degrés différents de signification et de compréhension, et le degré de croyance de l'étudiant ne dépasse généralement pas celui de l'acceptation superficielle et dénuée de compréhension. Il croit au «marxisme-léninisme» parce qu'on ne lui enseigne rien d'autre et qu'il entend rarement mettre cette doctrine en doute. Chaque fois qu'il se trouve forcé de faire état de ses convictions, a,ucours de rencontres avec des visiteurs des pays occidentaux, par exemple, il se rabat sur les slogans du Parti qui représentent peut-être le seul argument qu'il connaisse. Toutefois, il lui est difficile d'établir un rapport entre ce qu'on lui a enseigné et son expérience personnelle de la vie. Si jamais il se posait la question, il conclurait probablement qu'aucun rapport n'existe. Pour le régime, cet indifferentizm prosaïque et apolitique est aussi grave que l'extrémisme véritable. Les « révolutionnaires » sont généralement découverts. Au contraire, ceux, bien plus nombreux, qui sont simplement indifférents, ne se sont engagés à rien, ne cherchent à convertir personne et préfèrent avoir la paix. Le régime a parfaitement compris que, pour une raison ou pour une autre, la propagande interne n'atteignait pas son but, notamment parmi les étudiants, et que des réforpies d'importance majeure s'imposaient. En 1960, le Parti admit officiellement que sa propagande

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