Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

362 encourager les activistes du Komsomol par une campagne incessante contre le non-conformisme sous toutes ses formes. L'objet du présent article est d'examiner l'état d'esprit des étudiants euxmêmes. Il repose, d'une part, sur l'étude de la presse soviétique, d'autre part, sur les expériences vécues par l'auteur alors qu'il étudiait dans une université soviétique. Le péché d' cc indifférence » LE PARTIse plaît à voir dans l'idéologie une «arme», mais elle est à deux tranchants. L'ennemi, selon la doctrine, c'est le « capitalisme », lequel revêt deux formes. D'une part, la lutte idéologique est un conflit avec le monde occidental « impérialiste» et« bourgeois ».D'autre part, c'est un conflit avec le passé russe. Car si le tsarisme a été exécuté en Russie, il n'a jamais été tout à fait enterré. C'est un spectre bien commode à qui l'on peut imputer tous les échecs du système actuel. Ainsi, selon la doctrine officielle,la lutte contre toutes les manifestations de «l'idéologie bourgeoise » est plus qu'une lutte contre l'influence occidentale : elle fait partie de l'effort incessant visant à effacer tous les «vestiges du passé »dans la conscience des Soviétiques. Dans cette ambiance, le péché le plus grave n'est pas l'opposition directe (qui a le mérite d'être aisément décelable), mais le manque d'intérêt, l'indifferentizm. Mais indiff erentizm ne signifiepas « indifférence » en général. C'est de l'indifférence pour tout ce qui est politique, un manque de réaction devant les mots d'ordre du Parti. Il ne s'agit pas de rébellion ouverte contre le marxisme-léninisme, mais plutôt d'une vague conviction que l'idéologie officielle n'est ni intéressante ni applicable aux problèmes de l'époque. Attitude qui se manifeste de mille façons parmi les étudiants - dans le comportement du stiliaga, par exemple, ou dans l'art des «futuristes marxistes ». Elle se réduit à cette question: « Kouda nam dalché? »(«Et maintenant, qu'allons-nous faire?»). Elle conduit parfois à une critique du régime, non pas parce que le Parti n'offre pas de solutions (car les réponses sont toutes prêtes, sous une forme facile à assimiler, dans le programme de 1961), mais parce que le régime ne permet pas à la jeune génération de les chercher elle-même. A l'occasion, cette attitude se révèle au grand jour. Qu'on se souvienne, par exemple, d'un film violemment condamné et censuré en 1963. Son titre : Zastava Ilitcha (Le Poste de garde d'Ilitch) est conforme à la doctrine officielle, puisqu'il donne à penser que la jeunesse soviétique est à l'avant-garde d'une société progressiste. Cependant, à l'opposé du portrait de la jeunesse approuvé par leParti, les jeunes gens du film se demandent: « Et maintenant, qu'allons nous faire? »A en juger par ce qu'on sait du film, la leçon semble des plus claire : les jeunes ne pourront trouver la réponse qu'en s'interrogeant eux-mêmes et non pas en Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE étudiant les dogmes du Parti. Dans une scène remarquable, un jeune homme, Serge, rencontre le spectre de son père, tué pendant la deuxième guerre mondiale. Le spectre conseille à son fils de n'avoir aucun regret du passé, mais de vivre pour le présent et pour l'avenir. Serge demande conseil à son père: - Comment dois-je faire? Le père lui répond simplement : - Quel âge as-tu? - Vingt-trois ans, dit Serge. - Moi, je n'ai que vingt et un ans. Sur ces mots, le spectre disparaît. L'auteur, Victor Nékrassov, a qualifié ce film de « grand événement dans l'histoire de notre art », précisément parce qu'il dépeint bien l'esprit d'indépendance de la jeune génération 2 • Mais, évidemment, un film contenant une telle leçon est inacceptable pour un régime toujours dominé par des hommes d'une génération plus âgée. Ce groupe d'âge (qui comprend les plus anciens apparatchiki) en éprouve naturellement du ressentiment. Ces hommes ont la conviction qu'ils ont créé un ordre social unique en son genre qui leur a coûté beaucoup de souffrances et de privations. Ils ont l'impression que leur œuvre est vouée à tomber aux mains d'une jeune génération ingrate et sans âme. Sans avoir, pour la plupart, pris part à la guerre civile, ils ont cependant vécu au temps des premiers plans quinquennaux, des épurations et de la deuxième guerre mondiale. La jeunesse et les aînés CERTAINSdes étudiants les plus avertis stigmatisent le défaut de la vieille génération : avoir vécu au temps de Staline, et avoir gardé le silence. « La campagne contre le culte de la personnalité n'a pas simplement démasqué un dictateur, mais toute une génération», m'a dit un étudiant soviétique. La déstalinisation a miné l'autorité dont la vieille génération se réclame. Après tout, pourquoi écouter des hommes qui se sont tellement compromis par leur long silence devant une tyrannie inqualifiable, qui ont survécu, alors que des hommes plus grands qu'eux ont péri? Toutefois, ce raisonnement approfondi ne reflète que l'opinion d'une petite minorité. L'état d'esprit général des jeunes se traduit par l'indifferentizm à l'égard de la politique et par une préoccupation concernant le côté matériel de la vie. Si on les y engage, les étudiants acceptent de prendre part à une « discussion politique » avec des étrangers, ce qui se borne généralement à répéter de façon mécanique les arguments avancés par le Parti. Les débats de ce genre s'en tiennent à des 2. V. Nékrassov : « Des deux côtés de l'Océan », in Novy Mir, 1962, n° 12, pp. 120 sqq. Cf. la critique de Khrouchtchev enver~ Nékrassov et son film in Pravda, 10 mars 1963.

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