CHEZ LES ÉTUDIANTS DE MOSCOU par Darrell P. Hammer PAR LA PRESSE SOVIÉTIQUE, on peut apprendre beaucoup sur l'état d'esprit des étudiants et sur l'attitude du régime à leur égard. L'essentiel de ce qu'on sait, par exemple sur les groupes d'ultra-révolutionnaires « nihilistes » et « anarchistes », provient de sources aussi inattendues que la Komsomolskaïa Pravda ( organe des jeunesses communistes). Cependant, il faut utiliser la presse soviétique avec précaution : elle est en effet chargée de communiquer non pas des renseignements mais une politique. Ce que dit la presse du comportement des étudiants fait état des préoccupations du régime à un moment donné, sans pour autant dévoiler ce que les étudiants ont réellement en tête. Pour analyser correctement la presse soviétique, le principe de l' odnako constitue l'un des outils indispensables. Odnako («toutefois») est le motclé qui souvent annonce le message essentiel ou une déclaration du Parti ; le lecteur averti sait que odnako met un terme aux louanges et marque le début de la critique. On pourrait même le traduire par : « et maintenant, arrivons au fait». Jusqu'ici, tout indiquait le plus grand optimisme : en général, tout va bien (description pré-odnako d'une situation donnée); mais les critiques post-odnako deviennent alors précises. Il s'agit par là de suggérer que tout ce qw est mauvais n'est pas typique, mais au contraire s'écarte de la norme. Odnako représente donc une technique sémantique pour ramener tous les échecs et toutes les déficiences à des exceptions extraordinaires. Cet outil bien en main, on peut se faire une idée des vues du régime quant à la jeune génération en étudiant le discours prononcé par L. F. Ilitchev devant le Comité central en juin 1963. Ilitchev s'est longuement penché sur les problèmes de la jeunesse, de l'enseignement et de l'idéologie. Discours remarquable, car Ilitchev y exposait très franchement les différences entre générations, avouant que l'auréole du« romantisme révolutionnaire » dont le Parti essaye de parer le passé Biblioteca Gino Bianco semble avoir perdu de ses vertus à l'heure actuelle. Il est évidemment plus difficile d'engendrer l'enthousiasme à présent qu'à l'époque héroïque de la révolution, de la guerre civile et du premier plan quinquennal. Ilitchev soulignait cependant que la jeune génération était toujours pénétrée d'enthousiasme pour l' « édification du communisme» : Il n'y a pas lieu de soupirer en déplorant que, tant bien que mal, « la mauvaise génération a poussé». Notre jeunesse a été et demeure un élément actif et brillant de la société socialiste, dévoué à la cause des grands idéaux du communisme. ( Applaudissements prolongés.) Vient ensuite le signal d'alarme : La vie, toutefois, ne donne pas naissance aux seuls hommes qui font leur devoir honorablement. De temps à autre, elle engendre des jeunes qui, par leur attitude déplorable devant la vie, leur crainte du travail, leurs manières et leurs goûts de philistins, sont en contradiction avec la façon de penser et d'agir qui règne dans notre pays. Quelques jeunes considèrent comme acquis et dans l'ordre des choses les immenses bienfaits conquis par notre peuple au prix d'énormes efforts. Ils croient qu'ils ne sont nés que pour se lancer à la poursuite du plaisir. Il existe encore des oisifs, des infirmes moraux, des grincheux et des « sceptiques imberbes » parmi nos jeunes 1 • De cette déclaration, on peut conclure que les oisifs, sceptiques et autres, sans être forcément typiques, donnent du souci aux autorités. Le régime est acquis à l'idée que les « oisifs » et les «grincheux» parmi la jeunesse soviétique sont le produit d'une « idéologie étrangère ». En conséquence, la réaction du Parti a été surtout idéologique : il a intensifié ses efforts pour endoctriner la Jeunesse (particulièrement les étudiants universitaires), pour éliminer les idées occidentales et 1. Pravda, 19 juin 1963.
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