Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

358 même occasion, « nous ne pouvons pas produire autant d'engrais minéraux qu'il nous en faudrait» (vol. IV, p. 80). Il revenait sur le même problème au cours de l'été 1962 lorsqu'il expliquait les raisons pour lesquelles le gouvernement avait augmenté le prix de la viande. Il parlait du besoin d'accroître l'intéressement des paysans et de la difficulté de la chose étant donné le pouvoir d'achat excédentaire dont disposait déjà la population (vol. VII, p. 33). Il admettait que la hausse des prix était impopulaire et qu'il n'avait pas été agréable de s'y décider, ajoutant cependant: Naturellement nos ennemis, les ennemis de l'ordre socialiste, auraient voulu une autre décision. Et cela aurait pu être. Quelle sorte de décision? Celle d'affecter des crédits importants au développement de l'élevage aux dépens de l'industrie et au prix d'une réduction des investissements pour la défense nationale. Voilà ce qu'auraient voulu nos ennemis. Mais, camarades, une telle décision aurait retardé le développement de notre industrie et miné la capacité de défense du pays. Une telle décision aurait créé les conditions qu'attendent nos ennemis. Cela, nous ne pouvons le faire (vol. VII, pp. 36-37). On voit ainsi qu'il ne faut pas attacher trop d'importance aux professions de foi de Khrouchtchev en certaines formes d'organisation, en l'efficacité des vertueux présidents de kolkhozes et en l' « enthousiasme des masses laborieuses». Lorsqu'un dirigeant a pris la décision d'investir, il lui en coûte peu de faire ressortir d'autres mesures qui n'entraînent pas de dépenses d'investissements. En fait, une telle pratique est une tactique politique habile et détourne l'attention de l'essentiel, à savoir la décision d'investir. Qui plus est, des déclarations comme celle que nous venons de citer doivent inciter à la prudence avant d'affirmer que Khrouchtchev est le chef d'un « bloc des consommateurs » au Présidium ou, en l'occurrence, à la tête d'une faction menacée. Ce recueil de documents - en particulier le volume VII avec ses onze mémorandums au Présidium, rédigés entre août 1962 et mars 1963 - fait penser que Khrouchtchev jouit, au sommet, d'une solide position d'autorité. LA PREUVE la plus frappante du rôle prédominant du premier secrétaire réside dans les six discours jusqu'alors inédits et les cinq mémorandums au Présidium qui datent de son voyage en Asie centrale fin septembre et début octobre 1962 3 • (Deux 3. La date vaut d'être notée, pour deux raisons. Tout d'abord, il s'agit d'une période au cours de laquelle certains croient que le pouvoir de Khrouchtchev s'était affaibli. Cf., par ex., L. Smolinski et P. Wiles : « The Soviet Planning Pendulum », in Problems of Communism, Washington, n° 6, nov.-déc. 1963, p. 41. En second lieu, c'est la période au cours de laquelle l'accumulation des fusées à Cuba en arrivait à son point culminant. L'attitude joviale adoptée par Khrouchtchev vers la fin de son voyage démontre une aptitude remarquable à dissimuler toute préoccupation au sujet d'une situation internationale explosive. BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE des _mémorandums furent rédigés au cours du voyage, trois à l'issue de celui-ci.) Après lecture de ces documents, on est amené à conclure que la décision de créer une administration économique unifiée en Asie centrale a été prise personnellement par Khrouchtchev sur place. De plus, le document montre que Khrouchtchev jouissait à ce moment d'une autorité suffisante pour lui permettre de faire part de ses décisions aux habitants de l'Asie centrale avant de consulter ou même d'informer les autres membres du Présidium. Le voyage d'Asie centrale débuta par le Turkménistan. La situation régnant dans cette République semble avoir réellement alarmé Khrouchtchev. Le caractère primitif des travaux d'irrigation, par comparaison avec celle de la steppe « de la faim » en Ouzbékistan, les méthodes arriérées pratiquées dans le sovkhoze qu'il visita (et qui était pourtant l'un des plus prospères de la République), l'ignorance totale des fonctionnaires du sovkhoze quant aux travaux de l'Institut de recherche sur le coton à Tachkent, tout cela parut le frapper d'étonnement. La conversation de Khrouchtchev avec les principaux fonctionnaires turkmènes de la ferme se changea en un rigoureux interrogatoire ponctué d'expressions de mécontentement quant à la plupart des réponses fournies (vol. VII, pp. 184-196). A mesure que se poursuivaient les entretiens, Khrouchtchev semblait peu à peu conclure à la nécessité d'une administration unifiée de l'Asie centrale, ce qu'il développa pendant le reste de son voyage. Il parla d'abord de la nécessité de coordonner la recherche scientifique, puis du besoin d'un contrôle général dans le domaine de la culture cotonnière, enfin d'une direction générale de l'ensemble des activités économiques. Après avoir quitté le sovkhoze, Khrouchtchev convertit les diverses réunions tenues au Turkménistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan en forums de la démocratie plébiscitaire. Il souleva sans relâche dans ses discours la question d'une administration unifiée, déclarant toujours qu'il le faisait pour voir « comment vous réagirez » ( vol. VII, p. 216) .. Il exposait ses idées à ce sujet et déclarait alors : « Si vous êtes d'accord, j'aimerais rédiger un mémorandum à l'adresse du Comité central en m'appuyant sur votre opinion. Pensez-vous que cela soit utile? » La réponse était toujours la même : « Oui, oui ! » (vol. VII, p. 232). (Il est frappant d'observer l'empressement avec lequel tous les fonctionnaires d'Asie centrale - y compris les gens interrogés par le personnel du Comité central - accueillaient les propositions de Khrouchtchev, propositions qui ne pouvaient que restreindre leur pouvoir et leur indépendance.) Lorsqu'il arriva en Ouzbékistan, Khrouchtchev était d'excellente humeur et le ton s'en ressentit : J'aimerais maintenant parler avec vous de quelques autres questions d'organisation. J'y ai déjà fait allusion dans les conversations que j'ai eues avec les Turkmènes et les Tadjiks, et ils m'ont appuyé. Comme vous le voyez, on m'approuve. ( Applaudissements.) II est vrai qu'aujourd'hui Kazakhs et Ouzbeks - les repré-

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==