344 de parlementarisme que s'il a les moyens de maîtriser toute vélléité d'indépendance parlementaire. Nous avons écrit: « phrase menaçante>~.A la yérité, on dirait peut-être plus justement: phrase unplorante. Il semble en effet que l'ancien premier ministre demande grâce pour l'Assemblée, et suggère d'aménager le vote de censure pour obtenir qu'il subsiste. Sans le vote de censure, en effet, l'Assemblée ne serait plus qu'une chambre consultative, et le pouvoir du président serait illimité pour toute la durée de son mandat. Lorsqu'il s'e~orce ainsi d~ sauver un lambeau de parlementarisme, lorsqu il veut mettre à profit la quasivictoire.électo_ral~ e l'U .N.R. pour faire adopter le scrutm maJontaire à un tour, M. Debré nous fait invinciblement penser à Machiavel, que vers l'an 1520 Jean de Médicis, pape sous le nom de Léon X, faisait consulter sur la Constitution à d~nner à Florence. L'ancien secrétaire de la République proposa un système ingénieux qui eût pendant toute sa vie laissé à Léon X une autorité entière, et fût devenu, à sa mort, un régime démocratique bien organisé. De même M. Debré voudrait, semble-t-il, que le chef de l'Etat conservât les apparences du parlementarisme, et même mît en place les organes d'un parlementarisme à l'anglaise, qui ne commencerait à fonctionner qu'après sa mort. Mais sans doute ne sera-t-il pas mieux écouté que ne le fut le secrétaire florentin. Le chef de l'Etat et son ancien premier ministre sont en effet des esprits tout à fait opposés. M. Debré est une manière de classique qui aspire à couler la vie politique dans un moule d'une parfaite régularité, pour lui l'action politique efficace est le fruit d'une inspiration rationnelle, ou plutôt d'une raison fougueuse et passionnée ~'exprimant selon des règles. Que ces règles unpliquent certaines servitudes, il le sait bien. «On ne peut, dit-il (/oc. cit.), à la fois vouloir la démocratie et ne pas vouloir de conflits internes. » Ce mot de démocratie, ici, résume à lui seul les règles dont M. Debré accepte la rigueur - dont il accepte la rigueur non parce qu'elles sont règles, et par féchitisme de la règle, mais parce qu'il est convaincu que l'art politique ne donne ses plus beaux fruits que dans le respect de ces règles. Cela étant, on pourrait se demander pourquoi M. Debré a lié son sort à celui du général de Gaulle, pourquoi le politique s'est allié au soldat. Mais la réponse est assez évidente. M. Debré rêvait de passer d'une esthétique politique confuse et quelque peu baroque à une esthétique politique claire et classique. Or il était à peu près impossible de réformer le monde politique de l'intérieur. Le réformateur devait venir de l'extérieur, et c'est de l'extérieur qu'il vint en effet. Comme entre Bonaparte et Sieyès, l'alliance se noua entre le soldat et le juriste, chacun d'eux ayant besoin de l'autre. Et comme Sieyès consul provisoire, M. Debré fut premier ministre temporaire. Mais bientôt le soldat éloigne le politique, qui a cessé de lui être utile. Que peut faire le politique? Il lui faut, contre tout espoir, espérer que le soldat B•blioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL n'arrachera pas ces jalons d'une esthétique classique, qu'il était arrivé à poser. « Nous avons déjà beaucoup réduit les droits de l'Assemblée, dit le politique, on peut les rogner encore un peu, mais n'allons pas trop loin. - Trop loin? s'étonne le soldat. Comment peut-on aller trop loin? S'il était bon de réduire les pouvoirs de l'Assemblée, c'est qu'ils étaient mauvais, et s'ils sont mauvais, il est bon de les anéantir. Le mal doit être extirpé jusque dans sa racine. - Le Bien est tout entier en vous, répond le politique, parce que vous incarnez la patrie, mais dans une certaine mesure l'Assemblée... - Non, interrompt le soldat, si l'Assemblée est une image de la patrie, c'est une image brouillée, confuse, contradictoire. J'en suis, moi, une image claire, imposante, orientée vers le bien commun. La patrie ne peut se retrouver dans deux miroirs aussi différents. L'une des images est fausse, l'autre est vraie. - L'autre est vraie aujourd'hui, murmure le politique, parce que vous êtes là. Mais après vous... - Après moi? » Cet « après moi? » est dit sur un ton où l'on discerne de la stupéfaction mêlée à quelque indignation. Le soldat est indigné qu'on veuille le lier par ce qui se passera après lui. Il est surtout stupéfait qu'on s'en préoccupe. C'est que son esthétique n'est pas classique. Le classique vit dans un monde ordonné où la permanence est la loi. Pour le romantique, le monde est toujours changeant, et la seule tâche de l'homme, s'il a l'âme d'un artiste, c'est d'écrire une épopée au livre de l'histoire. Règles, démocratie, ces termes glacials lui demeurent étrangers. Il veut, comme les vieux prophètes, promener une torche ardente et incendier les âmes, leur communiquer un peu de cet enthousiasme divin qui seul sort l'homme de cette mort spirituelle qu'est le bonheur dans la routine. Le soldat laisse à d'autres les grises processions d'alexandrins à rimes plates, il lui faut le rythme et la somptueuse période de Chateaubriand, père du romantisme, et c'est ce rythme et cette période, précisément, que nous trouvons à l'occasion sous sa plume 5 • ON PARLE ICI du style, parce qu'on y trouve l'homme même: le style de l'action ne diffère pas de celui de la parole et de l'écriture. Le chef de l'Etat est romantique lorsqu'il parle, romantique lorsqu'il agit. C'est-à-dire qu'il refuse d'être lié par la règle, par quelque règle que ce soit. Le politique lui indique la procédure classique, l'imagine poussée à son point de perfection, et il conclut que le successeur du soldat - ou . le soldat lui-même - peut-être contraint de« s'incliner ou se retirer» (loc.cit.). Quoi? Se soumettre ou se démettre, comme on disait au temps d'un autre soldat? On devine ce qu'il va répondre : « J'ai trouvé un parlement qui donnait de la France une image pitoyable, grimaçante, déchirée. A cette 5. Par exemple, dans ce passage sur la dictature qu'on a, plus haut, extrait du discours de Bayeux.
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