Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

342 saires y avaient la majorité. On peut en déduire que l'Assemblée ne peut avoir un certain caractère représentatif que dans la mesure où elle est composée de fidèles du président, fidèles qui euxmêmes ne sont vraiment des représentants que dans le moment où ils approuvent la politique du président. Le succès électoral a-t-il apaisé le chef de l'Etat? Nullement. Il n'a cessé d'attaquer les partis, dans ses conférences de presse et dans ses discours, sans même daigner se souvenir que l'un d'eux se réclame de lui. On n'en saurait douter, l'Assemblée nationale, à ses yeux, est le lieu des partis, des divisions, des combinaisons, tandis qu'il est, lui, à la tête du pays, « la représentation ferme, continue et impartiale de son intérêt général 2 ». L'attaque contre les partis - et par là contre la fonction parlementaire - se poursuit obstinément après la défaite des partis, cependant que, parallèlement, est sans cesse exaltée la fonction présidentielle. On remarquera d'ailleurs la façon curieuse dont, à la conférence de presse du 14 janvier 1963, a été présenté le remplacement de M. Debré par M. Pompidou. Le chef de l'Etat a expliqué cette substitution en disant qu'il fallait désormais cc poursuivre la tâche sur une base de cohésion nationale plus assurée». C'était assez dire que M. Debré, personnage politique, était l'homme d'une période de transition, pendant laquelle il fallait encore tenir compte de l'existence des groupes politiques, tandis que son successeur n'est qu'un homme-lige du président lui-même, incarnation de la cohésion nationale. L'organisme par où se poursuivra l'abaissement de l'Assemblée, c'est un Conseil économique rénové. L'Assemblée, c'est le Mal, c'est l'arène où s'opposent des idées. Le Conseil économique, c'est le lieu où seront représentés ces intérêts particuliers que le président, représentant de l'intérêt général, a pour fonction d'arbitrer. Dans sa conférence de presse de janvier 1964, le chef de l'Etat avait annoncé cette rénovation du Conseil économique, dans celle du 23 juillet il en a parlé plus longuement, et a précisé que cette transformation aura lieu après l'élection présidentielle. A la vérité, le chef de l'Etat a présenté ce futur remaniement constitutionnel comme une « grande réforme de structure économique et sociale» qui s'ajouterait aux institutions politiques mises en place par les textes de 1958 et 1962. Mais il est difficilede penser qu'il s'agisse seulement d'accroître sans compensation les pouvoirs du Conseil économique. D'abord parce que, dans sa conférence de presse, le chef de l'Etat a placé lui-même l'organisme à créer au-dessus de l'Assemblée nationale : il a en effet parlé du « rôle que l'avenir lui réserve, étant donné le caractère réaliste que l'époque moderne impose progressivement à notre démocratie par contraste avec les querelles idéologiques d'autrefois». Ensuite parce qu'on n'ima2. Discours de Soissons, 11 juin 1964. ·Bib1ioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL gine pas que le général de Gaulle ait envie de donner à qui que ce soit le pouvoir de discuter ses intentions et ses actes, sinon pour enlever ce pouvoir à des gens qui sont mieux placés pour le gêner. En troisième lieu, parce que les institutions politiques de 1958 et 1962, aux yeux du chef de l'Etat, ce n'est assurément pas l'Assemblée nationale et le Sénat, mais le président et ses pouvoirs. Enfin parce que son ambition suprême n'est sans doute pas de passer pour un bon élève de M. MendèsFrance. CE N'EST PAS d'hier que l'on a dit qu'il fallait, au gouvernement des hommes, substituer l'administration des choses. Cette idée a été la colonne vertébrale de la pensée socialiste, elle a été élevée à la hauteur d'un principe en Union soviétique - où elle a donné des fruits qui inquiètent aussi bien les partisans de l'administration des choses que ceux du gouvernement des hommes - et elle est, au temps des « plans quinquennaux » et de « !'U.R.S.S. en construction », revenue séduire un Occident désorienté par la crise économique des années trente. C'est cette idée qui a été à l'origine de l'actuel Conseil économique et social et qui anima les conseillers de M. Mendès-France avant d'être reprise par les plus notoires des « gaullistes de gauche ». Dans la République moderne, l'ancien président du conseil proposait une assemblée économique subordonnée à une assemblée politique, et cette suggestion a été reprise et développée par M. Debré dans Au service de la nation. Il est vraisemblable que le chef de l'Etat songe à renverser les termes de çette subordination, voire à dévitaliser complètement l'Assemblée politique, car le présidentarbitre incarne à lui seul toute la politique de l'Etat. Quoi qu'il en soit, il est remarquable que la réforme qu'il envisage arrive, comme celle de 1962, sur un terrain préparé par ses adversaires plus encore que par ses partisans. Les adversaires du général de Gaulle ne cessent en effet de le servir par l'extrême indigence de leurs idées constitutionnelles. Si le général de Gaulle détruit le système de la IIIe et de la ive République, ils n'osent défendre ces indéfendables régimes, et reconnaissent qu'il fallait réformer. Mais, disent-ils, autrement. Comment? Ils ne savent. Demain, lorsque, pour achever la destruction de notre système politique, le chef de l'Etat célébrera l'éminente dignité du travail et des forces économiques, ils se sentiront tenus de faire chorus, eux, défenseurs traditionnels du travail et des forces économiques. Ils approuveront en désapprouvant, ils désapprouveront en approuvant. « Il faudrait seulement procéder autrement » dirontils. Et il sera aisé de faire passer leur indignation pour un retour intéressé sur leur situation personnelle. Si les adversaires du général de Gaulle ne sont pas de taille à lutter contre lui, c'est simplement

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