Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

340 l'ingratitude publique. Toute sa vie, toute son œuvre ont un caractère instable, agité, tumultueux qui les oppose à celles du soldat. » Le général de Gaulle est un soldat, et c'est· en soldat, semble-t-il, qu'il examine le problème des institutions, en soldat qu'il cherche à le résoudre. Le politique ne peut prendre rang dans le monde politique que parce qu'il a, dès le départ, acce.pté· l'instabilité congénitale du pouvoir, tous ses actes sont conçus en fonction de cette instabilité, toute sa personnalité est marquée par cette incertitude fondamentale. Que son existence politique dépende d'un monarque, d'un parlement, du vote populaire - l'auteur du Fil de l'épée définit clairement ces trois situations, - le politique use le meilleur de ses forces à lutter contre l'inconstance des hommes. La « condition politique »se montre donc très inférieure à la « condition humaine», car, selon les croyances actuelles de l'Occident, l'homme dépend d'un Créateur - qu'il se nomme Dieu, la Nature ou l'Histoire - qui n'agit pas par des volontés particulières, tandis que le politique dépend de l'homme, dont on sait depuis longtemps qu'il est ondoyant et divers. Lorsque le soldat entre dans le domaine de la politique, et prétend y instaurer la stabilité, ne cherche-t-il pas à résoudre la quadrature du cercle? La première idée qui vient, c'est que le soldat, pour résoudre l'insoluble problème, va trancher le nœud gordien, et s'affranchir de toute instabilité en s'affranchissant de toute dépendance : la solution militaire à l'inconstance des hommes, c'est la force, c'est (dans le vocabulaire politique) la dictature. Mais précisément la dictature n'est pas un régime stable, et nul ne l'a mieux dit que le général de Gaulle, nul n'a en périodes plus sonores et mieux rythmées dénoncé le destin de la dictature, qui est « d'exagérer ses entreprises» : « A mesure que se font jour parmi les citoyens l'impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues. La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu'il s'agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts dépassent peu à peu toute mesure. A chaque pas se dressent, au dehors et au dedans, des obstacles multipliés. A la fin le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et le sang 1 • » LORSQUE L'AUTEUR du Fil de l'épée opposait le politique et le soldat, il ne pensait sans doute pas qu'un jour le soldat qu'il était se muerait en politique, et il décrivait la condition du politique comme un destin inéluctable. A ce destin, pourtant, il lui fallut plus tard chercher à. échapper, lorsqu'il laissa les armes pour revêtir la toge. Qu'il ait cru possible de tromper le destin, r. Discours de Bayeux, 16 juin 1946. . -Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL cela ne fait guère de doute. Le premier point, évidemment, était de ne pas devenir un politique, d'échapper à la condition politique. Or, lui semblait-il, il avait à cet égard un atout majeur : il était miraculeusement exempt du péché originel des politiques, car il n'avait pas été contraint de plaire avant d'agir, il avait commencé par agir, et sur l'action s'était fondé son prestige immaculé. Le second point était de ne pas, pour se maintenir au pouvoir, entrer dans le jeu traditionnel des combinaisons et des négociations. Les divisions politiques conduisant inévitablement aux concessions et aux compromis, suivis de ruptures et de nouvelles combinaisons, il fallait tenir pour nulles et ~on avenues ces divisions qui obnubilent les politiques, et forger l'unité selon les méthodes militaires. A leur arrivée à la caserne, la première chose qu'on enseigne aux recrues, avant même de leur confier une arme, c'est le rassemblement : « Rompez !... Rassemblement !... Rompez !... Rassemblement ! »~t le sergent instructeur pivote sur ses talons, et les Jeunes soldats courent à perdre haleine. Après cela vient le maniement d'armes, puis on les envoie au feu, où, dans l'action, se forge l'unité de la troupe et l'esprit de corps. Telle est la méthode dont s'est inspiré le général de Gaulle, fondant, dans le passé, le Rassemblement du peuple français, et affirmant, aujourd'hui la nécessité d'une « nation rassemblée ». Mai~ poser des principes n'est qu'une prémisse philo- . sophique. Il faut aussi les mettre en œuvre. C'est alors que le soldat entre véritablement dans le monde politique. Le monde politique va-t-il l'entourer, l'étreindre, l'absorber, et finalement l'assimiler, ou, archange au glaive étincelant le soldat ~ssipera-t-il le monde politique comm; un mauy~1s cauchemar? comme une fanstasmagorie susc1tee par des pwssances maléfiques désormais en déroute? Le monde politique est un théâtre où quelques ~entaines d'acteurs se produisent devant des millions de spectateurs. Le général Bonaparte fait ch~sser le~acteurs par une escouade de grenadiers, pws se fiut approuver par le public en le faisant signer sur des registres. Les temps ne sont plus les m,ê~es - ni le__scirconstances---: ~t n'ayant pu congedier les politiques et la politique par ces procédés simplistes, le général de Gaulle tente de ~éaliser par étapes ce qu'il n'a pu faire le premier Jour. .. _Il est à peÏJ?-en.écessaire de rappeler les efforts faits par le pres1dent de la République pour « rassembler » la nation et la désaccoutumer de se ~viser en ,P~rtis. A plusieurs reprises le corps el;C!oral a ete consulte su,r des questions d'intérêt general, et cela a pu passer paur une démonstration répétée de_l'inutilité d'un parlement dont la compétence, d' ~illeurs, a été étroitement circonscrite. Si l,esquestions ~on~~ien ch~isies et bien posées, une ecrasante maJortte de citoyens vient montrer qu'obscurci dans l'arène parlementaire par les fumée~ de _la po~tique, l'intérêt général est clair dans 1 espnt genereux de la nation et dans l'esprit

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