Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

<. UN SOLDAT DANS LA POLITIQUE par Yves Lévy LES PROBLÈMES ACTUELS de la politique intérieure, les problèmes actuels de la politique extérieure, les problèmes qui relèvent de l'une et de l'autre sont d'une extrême importance, et il ne semble pas illégitime qu'ils occupent dans les esprits une place considérable. Mais on peut être surpris du peu d'attention qu'on accorde à notre situation constitutionnelle. Si des Français sont inquiets de voir se relâcher la solidarité militaire de l'Occident, il est néanmoins improbable que leur mécontentement les conduise à se soulever. D'autres ne voient pas sans regrets se défaire la petite Europe avant même qu'elle ait réellement pris forme, et ils n'en deviendront pas, pour autant, des rebelles. Il en est aussi qui, pour quelque raison que ce soit, sont hostiles aux champignons atomiques: ceux-là aimeraient que les dépenses de l'Etat fussent autrement réparties qu'elles ne sont, et cependant ils ne prendront pas les armes pour modifier les chapitres du budget. De notre situation constitutionnelle, en revanche, personne ne se soucie véritablement. Comme sous les régimes précédents, il est des gens pour proposer placidement qui un système, qui un autre, mais nul ne semble prendre conscience de la gravité de l'affaire. Et pourtant nos problèmes constitutionnels peuvent nous acculer, quelque jour, à la guerre civile. Est-ce dramatiser que de parler ainsi? Non sans doute. Pour se convaincre des périls qui nous menacent, il suffit de prendre garde à deux choses. La première, c'est que toutes les guerres civiles sont des crises constitutionnelles, et qu'on ne peut même concevoir qu'il en soit autrement: pourquoi se battrait-on contre ses concitoyens, sinon pour maintenir ou instaurer certains principes constitutifs dans l'Etat? La seconde, c'est que nous vivons une crise constitutionnelle qui ne cesse de s'aggraver. On se dira sans doute que les régimes précédents aussi ont vécu de longues années de cnse, et que toutes les crises, plus ou moins vite, finissaient par se dénouer. Peut-être même pcnscra-t-on que les choses après tout, sous le régime actuel, vont plutôt Biblioteca Gino Bianco mieux qu'auparavant. Certes. Mais il s'agit de la politique. Sous les régimes précédents, quand la politique allait mal, on parait au plus pressé comme on pouvait, et, la crise passée, les choses reprenaient leur cours sans encombre : du vote du pays à la constitution de ministères sans cesse remodelés par des majorités mouvantes, il y avait une voie traditionnelle que nul n'avait le pouvoir de changer. Aujourd'hui l'action gouvernementale, si elle a ses incertitudes, a du moins plus de continuité, et son efficacité dépend pour une grande part de la compétence de ceux qui la mènent, et non plus, comme auparavant, de combinaisons politiques dont la fragilité exigeait trop de concessions et de renoncements. Mais les règles constitutionelles qui délimitent cette action ne cessent de s'effriter, et le moment viendra où, le pouvoir étant de plus en plus désirable, rien ne s'opposera plus à qui, individu ou groupe, voudra, par la.force ou la ruse, s'en emparer. Rien, sinon un autre ambitieux ou un autre groupe d'ambitieux. Ce jour-là, les gens de cœur descendront dans les rues avec des armes dans leurs mains, et les gens de raison rêveront aux compromis impossibles. Ce jour-là, nous n'ouvrirons plus nos journaux, le matin, pour apprendre qui est calife à Bagdad ou président à Brasilia, mais pour savoir qui a pris le pouvoir à Paris. LE POUVOIR, il y a plus de trente ans que Charles de Gaulle l'a décrit. Pour arriver au pouvoir, écrivait-il, le politique doit plaire et s'il parvient à ses fins,« il lui faut plaire encore, convaincre le prince ou le parlement, flatter les passions, tenir en haleine les intérêts. Sa puissance, si étendue qu'elle soit, demeure précaire. Inconstante compagne, l'opinion le suit d'un pas c&~cieux, prête à s'arrêter s'il va de l'avant ou à bon · s'il temporise. L'ingrate tient pour rien les services du gouvernant et, dans le succès même, écoute ses adversaires avec complaisance (...). Grand ou petit, P.ersonnage historique ou politicien sans relief, il va et vient de l'autorité à l'impuissance, du prestige à

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==