338 · faire place au laissez-faire. Leur modèle abstrait d'économie pouvait encore être un instrument de travail utile pour étudier le monde de la première moitié du x1xe siècle. Mais, avecla diminution du laissez-faire, l'économie théorique a connu un déclin sensible, du fait que la réalité s'écartait de plus en plus des modèles fondés sur le principe du libre jeu des forces économiques. Puis vint la période des épigones, des exégètes., des esprits dénués de vues d'ensemble, qui travaillaient sur des aspects fragmentaires de la question, comme les séries statistiques, les manipulations de la monnaie ou du budget, etc. Lorsque fut élaborée une nouvelle synthèse ou ce qui pouvait passer pour tel chez Keynes, le propos en fut précisément de déterminer quelle devrait être la politique économique gouvernementale.Mais lemarxisme, pour sa part, manqua fâcheusement de penseurs originaux après la mort de Marx, tout comme du reste l'économie classique. Déjà au temps où Marx écrivait le Capital, il était évident que les pouvoirs publics et les groupes organisés intervenaient dans les processus économiques encore primaires ou autonomes, et cela avec le propos toujours plus délibéré d'en dominer les conséquences et d'en modifier le cours. Une grande partie du Capital traite en effet des fac tory acts et de la réglementation de la durée de la journée de travail. Même lorsque ces essais de réglementation aboutirent, comme ce fut souvent le cas, à des conséquences imprévues, l'autonomie du processus économique était déjà bien compromise et en voie de disparition. Que l'on considère le laissez-faire comme une bénédiction, gage de l'éternelle harmonie, comme ·Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL le voulait Bastiat, ou comme une malédiction pesant sur la société industrielle et la conduisant droit à la guerre civile, il reste que le modèle abstrait d'économie, fiction conceptuelle encore utile et parfois pertinente au temps où ses maîtres écrivaient, était déjà stérile et toujours plus déconcertant lorsque Marx commença le Capital. Par la suite, le néo-marxisme orthodoxe s'est toujours écarté de plus en plus de la réalité, se bornant à exposer la doctrine du maître telle que celui-ci l'avait laissée ou, pour citer encore Luthy, « à faire l'exégèse de l'histoire du monde considérée comme l'histoire des déviations du schéma marxiste». Tout comme Hayek et Roepke ont tenté de ressusciter le rêve envolé des harmonies éternelles cher à Bastiat, ainsi Hilferding, Rosa Luxembourg, Lénine, Boukharine et Sternberg ont cherché à conserver les éternelles contradictions du monde de rêve, essentiellement identique à lui-même, cher à Marx. Les épigones des deux écoles continuent à se mouvoir à l'aise dans ce monde de schémas abstraits; c'est là seulement qu'ils peuvent échafauder à loisir leurs théories et ignorer tranquillement à la fois les survivanceset les nouveautés de l'histoire, tous les facteurs étrangers à l'économie qui rendent le monde réel si complexe, si rebelle à toute direction préétablie, si déconcertant et si imprévisible. En réalité.,les deux écolesvivent dans un monde disparu, car la fin du xrxe siècle laissait déjà apparaître ce que le xxe a précipité : la débâcle complète du concept stérile de lois économiques autonomes, et le naufrage total de toutes les prédictions élaborées par Marx à partir de cette autonomie. BERTRAM D. WOLFE. ( Traduit de l'américain) /
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