Le Contrat Social - anno VIII - n. 6 - nov.-dic. 1964

B. D. WOLFE et cela comme il me plaît, sans avoir jamais à devenir un professionnel de la pêche, de l'élevage ou de la critique. Si ce n'est pas là une peinture utopique de la société future, que faut-il de plus? IL y A plus d'un siècle, lorsque Marx entreprit d'analyser la loi du mouvement de la socié~é industrielle ainsi que la structure et le destJn de celle-ci, il voyait cette société au bord d'une catastrophe ~ente. J'insiste ~l!1° ~emot « imminent ». Pour lw, le cataclysme n etait plus qu'une question de jours ou de semaines. Il ne manquerait point de se produire lors de la prochaine émeute. Puis, les barricades de 1848 n'ayant rien donné, Marx attendit ensuite sa révolution d'une guerre qui ne devait point manquer d'éclater avant la fin de l'année. Plus tard encore, lorsque les événements de 1848 et 1849 n'eurent pas apporté la révolution sociale, il lui fallut reporter son espoir sur la pr<?c~aine crise éco~~m}q_ue: « La révolution, écrivait-il, demeure aussi mev1table que la prochaine crise elle-même. » En proie à l'obses~i<?ndes pe~sl?ectives c~tastrophiques, Marx allait Jusqu'à predire le des?n de chaque premier ministre, de chaque souveram, de chaque pays. Il en vint ainsi à ,s'_aventurer sur le terrain mouvant de la prophet1e plus s~uven! qu'aucun autre homme de son temps ; terram qw devait se dérober bien souvent sous ses pas ... L'avenir, on le sait, allait se jouer de .s~s prophéties sur les guerres, sur_la chute d~s ~stere~, aes souverains, des dynasties et des regrmes. Mais pire encore fut ~e~ort de la loi gé~~r~~ que ~arx avait cru pouvoir enoncer. La soc1ete 1;lldustr~elle, selon lui, était vouée à une transformation rapide ; mieux elle était déjà en train de parachever sa mutation en une société complètement polarisée et divisée en deux comme par l'effet d'une mitose: à l'un de ses pôles, une minuscule _poignéede gros exploiteurs, à yautre, une ma~se mno~~rable de prolétaires misérables et . de_shumaruses. ,C~tte misère et cette déshumanisation des proletaires deviendraient absolues. Toutes les autres classes seraient ruinées et disparaîtraient, absorbées dans le prolétariat. Les hu_miliéset les offens~s, a~rès avoir perdu leur derruère chance ~e survie ~octale et leur ultime ressemblance humame, devaient se dresser dans leur colère, exproprier la poignée de spoliateurs et d~chirer la trame même dt: la société existante. Enswte, par une sorte de rmracle, ces prolétaires totalement déshumanisés seraient chargés à leur tour d'humaniser tous les hommes. * ,,. ,,. LE Manifeste communiste fut pré~aré conjointement par Marx et Engels, mais c est Marx qui en est l'auteur. Il impliquait la fin du nationalisme et était lancé pour annoncer au monde les bouleBiblioteca Gino Bianco 333 versements imminents attendus en 1848. Or les soulèvements de 1848 furent,la_pl1.1g:srand~ flambée de nationalisme de toute 1 histoire de 1 Europe. Marx et Engels découvrireD:t subiteme~t en euxmêmes l'existence de senttments nationaux, et cela après avoir proclamé q?~ l'ouV!Îer n'av~t ,pas de patrie, que la bourgeo1s1e av~t supprime. la nation en créant le marché international, etc. Bien que le Manifeste communiste ne dise pas un mot du destin de la nation allemande, Marx et Engels en vinrent bientôt à se préoccuper du problème de l'unité allemande, incitant le peuple allemand à la guerre avec ses voisÎ:llspoll:1'son unification et ~a révolution. La question nationale se trouva placee au centre de leurs écrits, et devait y demeurer jusqu'à ce que, pensaient-ils en tant qu' Allemands, « le cher vieux Bismarck ait fait le travail pour nous». Ce prolétariat qui, en 1848, ~< n'avai~ déjà plus de patrie à défendre», on devait le_von:_en ~914, puis en 1939 - et sans doute est-il pret auJo~- d'hui encore à le faire, - défendre ses patnes respectives. En fait, la nationalité devait apparaître comme la seule cause pour laquelle des millio~s d'hommes fussent prêts à combattre et à mourir. Au cours du xxe siècle, du reste, partant de l'Europe, son foyer initial, elle devait gagner l'Asie et l'Afrique où, du temps de Marx et d'Engels, on ignorait jusqu'à l'idée de nation. Les barricades et les combats de 1848 n'ayant pas mis fin au système, Marx fit alors appel à la guerre. La Neue Rhei,nischeZei,tung, qu'il dirigeait alors, devint le journal le plus belliqueux de toute l'Europe. Marx y appelait à la guerre les peuples germaniques contre la Prusse, contre toutes le~ principautés allemandes, co~tre le Danemark. a propos du Schleswig-Ho!stem, contre la Russie! contre l'Angleterre, parf01s contre tous ces pays a la fois. Jusqu'à ses toutes dernières années, Marx continua, ainsi qu'Engels, à soute~. avec zèle et enthousiasme toute guerre « capitaliste », poussant sans relâche l'Allemagne, son pays natal, l'Angleterre, son refuge, et la France, le foyer ~e ses premières idées, à déclarer la guerre à la Russie. Toutefois Marx, dans les dix dernières années de sa vie, et Engels, pendant les douze années qu'il survécut à Marx, avaient commencé à entrevoir l'holocauste de 1914, « la guerre des peuples » comme ils l'appelaient, où se trouveraient entraînés des peuples entiers et non pas seulement des armées de métier. Marx avait pressenti que ce serait là pour sa patrie « une guerre défensive, non point une de ces guerres localisées d'un ~o~veau genre, mais une guerre de races, contre 1 alliance des races slav~ t:t latin~ ». Il compr~t .q.uerissue de ce conflit serait mcertame, que la civilisation européenne, qu'il aimait et détestait à la fois~en sortirait ruinée, que les nations combattr&.1ent~our leur vie même et que tous les peuples défendr&.1ent leur pays ; et il cessa dès lors de voir dans la guerre un facteur de progrès. Trois ans avant sa mort, il écrivait avec modération au populiste russe N. F. Danielson : « Je considérerais une guerre européenne comme un terrible malheur.»

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