UN SIÈCLE DE « MARXISME » par Bertratn Le centième anniversaire de l'Association Internationale des Travailleurs, la première Internationale, fondée à Londres en septembre 1864 par des ouvriers français et britanniques de concert avec des proscrits de plusieurs pays, a été l'occasion de reconsidérer le siècle écoulé en ce qui concerne le mouvement socialiste, diversifié en multiples tendances, et les idéologies qui l'ont influencé, principalement celle que l'on désigne communément sous le nom de « marxisme », expressément désavouée par Karl Marx, éponyme à son corps défendant. Une conférence parrainée par l'Institution Hoover, à l'Université Stanford en Californie, s'est tenue pendant trois jours, du 5 au 7 octobre, pour exposer et analyser le thème général : «Cent années d'internationales révolutionnaires ». Outre Raymond Aron et Isaiah Berlin qui ont traité de L'Impact du marxisme aux XIXe et xxe siècles, des historiens, des économistes, des philosophes d'Europe et d'Amérique y ont passé en revue les principaux chapitres de l'histoire intellectuelle et sociale des trois Internationales. Un recueil de leurs discours et rapports doit paraître, qui offrira ample matière à réflexions et commentaires. En attendant cette publication, no1,1s entendons marquer la date de ce centenaire, à notre tour, en reproduisant à titre de controverse une conférence de notre collaborateur Bertram Wolfe sur les idées révolutionnaires de Marx, faite en 1962 à l'Université de l'Ohio (texte parlé, donc dépourvu de références). Car s'il n'est pas vrai que Marx ait été le fondateur de la première Internationale, comme l'affirment effrontément et obstinément les politiciens qui prétendent accaparer sa mémoire, il est vrai en revanche que sa supériorité intellectuelle, l'étendue de ses connaissances et son talent d'écrivain polémiste lui ont valu un ascendant considérable sur les mouvements qui, en son temps, se réclamaient de la classe ouvrière et de la révolution sociale. Il n'est pas vrai non plus que la troisième Internationale, déshonorée et liquidée par Staline, ait été « l'héritière de la première », comme se plaisent à le dire les serviteurs de l'actuel despotisme oriental. L'Association Internationale des Travailleurs était réellement née de l'initiative ouvrière et rassemblait une grande variété de groupes spontanément constitués en libres tendances disparates, alors que l'Internationale communiste née de la volonté personnelle de Lénine tendait à réunir des partis «monolithiques » pour devenir, sous l'effet d'une « bolchévisation » généralisée, un seul «parti mondial » soumis à un dogme unique et obéissant à une discipline militaire. Tout cela mérite un examen approfondi, ainsi que l'enseignement que comporte la faillite des trois Internationales, et la publication prochaine de l'Institution BibliotecaGino Bianco D. Wolfe Hoover sera la bienvenue, qui contribuera largement à cette étude, la seule qui vaille d'être entreprise à l'occasion dudit centenaire.· · Car sur l'histoire de la première Internationale, la documentation abonde et ce qu'on pourra publier encore ne changera rien d'essentiel aux connaissances acquises. Même les premiers ouvrages, franchement hostiles, de Villetard, de Testut, contiennent en annexes des matériaux qui permettent au lecteur sérieux de penser à sa manière. Les livres et brochures de Fribourg, de Benoît Malon, de James Guillaume, de Paul Brousse, d'Albert Thomas, de J.-L. Puech, dans leur riche diversité, la correspondance de Marx et d'Engels, les écrits de Bakounine, le Mémoire de la Fédération jurassienne, les comptes rendus de congrès (réédités à Genève par le professeur J. Freymond à l'Institut des Hautes Etudes), les Minutes du congrès de La Haye de 1872 éditées par Hans Gerth à !'University of Wisconsin Press (Madison 1958), le livre tout récent de M. Molnar sur la conférence de Londres de 1871, ne laissent rien ignorer d'important sur l'A.I.T., son origine, son essor, ses crises, son déclin et sa mort. A Moscou, enfin, les éditions soviétiques ont publié, de B. P. Kozmine : La Section russe de la première Internationale (1957); un recueil de documents sur La Plate-forme économique de la section russe de la Jre Internationale (1959); et les protocoles du Conseil général de la première Internationale, 1866-1868 (1963). Loin de nous l'intention de dresser une bibliographie complète, mais il faut toutefois mentionner les études, très discutables mais bien documentées, de V. A. Smirnova et de V. E. Kounina dans le recueil Sur l'histoire du mar:çisme et du mouvement ouvrier international (Moscou 1963). Il importe de signaler et de souligner qu'au temps où les «marxistes» (appellation qui a changé plusieurs fois de sens) étaient des gens estimables, le respect de la vérité historique fut toujours de règle. L' Esquisse d'histoire de l'Association Internationale des Travailleurs, par Véra Zassoulitch (Genève, 1889) La Première Internationale, par Iouri Stiéklov (Moscou-Pétrograd 1923), exposent les faits en toute impartialité, sans attribuer à Marx des mérites imaginaires. Quant à David Riazanov, le «marxologue » par excellence et l'homme le plus compétent en la matière, il a toujours précisé dans ses leçons et ses écrits : « ...Le rôle véritable de Marx, qui ne fut pas le fondateur de la Jre Internationale, mais en devint bientôt le principal dirigeant spirituel, ne commence qu'après la fondation de cette Internationale» (cf. Marx et Engels, Paris, s.d. Voir aussi : «La fondation de la Jre Internationale» dans le Bulletin communiste, n°8 34-35, Paris, octobre 1920). On sait que Stiéklov et Riazanov ont été victimes de la rage homicide de Staline.
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