B. SOUV ARINE ETANT RÉDUIT aux suppositions, on n'a que l'embarras du choix, mais ce qui paraît vraisemblable « chez nous» ne l'est pas toujours « chez eux » et par conséquent aucune supposition ne s'impose à coup sûr. L'éditorial de la Pravda qui, le 17 octobre, réaffirme « l'intangible ligne générale léniniste du P.C.», réprouve « la manie de faire des projets, les conclusions précipitées, les décisions et actions prématurées, détachées de la réalité, la vantardise et la hâblerie, l'engouement bureaucratique, le refus de compter avec ce qu'ont élaboré la science et l'expérience pratique». Tout cela s'applique effectivement à Khrouchtchev, mais en termes vagues. (Notons que le néologisme soviétique signifiant « manie de faire des projets » a été abusivement traduit par « têtes de linotte » dans la presse française et a fait ainsi indûment fortune parmi les congénères journalistiques de cet oiseau innocent). Dans quelle mesure doit-on imputer personnellement à Khrouchtchev la manie des projets, la hâte à conclure inconsidérément et à décider ou agir à la légère, la vantardise, la hâblerie, le bureaucratisme, le mépris du savoir et de l'expérience ? Il en a une large part, mais les décisions et les actions fondamentalse relèvent sans conteste de la direction collective. La guerre ou la paix, par exemple, l'orientation des congrès, le déboulonnage de Staline, la révision des Encyclopédies et de l'histoire, les réhabilitations de victimes sélectionnées du régime, le plan quinquennal ou septennal, les grandes réformes agricoles, les principales mesures fiscales, la réconciliation avec Tito, le massacre des ouvriers et des étudiants en Hongrie, la brouille avec Mao, le nouveau programme du Parti, les relations avec Cuba, etc., ne sauraient découler des seules cogitations du premier Secrétaire. Deux textes apocryphes ont circulé hors de !'U.R.S.S., cataloguant les fautes apparemment attribuables à Khrouchtchev et correspondant singulièrement à ce que chacun a pu remarquer d'insolite au cours des années pendant lesquelles une seule vedette a tenu le devant de la scène soviétique. En réalité ces textes attestent le consensus de certains observateurs professionnels étrangers, mais il s'agit de distinguer entre ce qui appartient en propre à Khrouchtchev et ce qui incombe à toute la clique dirigeante. En outre, rien ne dit que ce qui choque ou scandalise au dehors produit le même effet à domicile. En raison des spéculations trompeuses et nuisibles qui ont cours en Occident, il importe d'écarter d'abord celles qui concernent la «coexistence pacifique» et les questions connexes. C'est folie que d'inscrire cette politique à l'actif personnel de Khrouchtchev. Quand les communistes la qualifient de « léniniste », on ne peut les contredire, non pas que Lénine ait énoncé la formule (dont la paternité revient à Staline), mais parce qu'il va de soi que Lénine a pratiqué cette « coexistence » qui n'a rien de spécifiquement léniniste, que pratiquent tout gouvernement et tout régimen'ayantpas intérêt à la guerre. Lénine Biblioteca Gino Bianco 265 s'était risqué une seule fois à «tâter» militairement la Pologne voisine quand l'Europe orientale traversait les temps troubles consécutifs à l'écroulement des Empires centraux, et il a regretté amèrement sa tentative. Staline qui inventa la « coexistence pacifique», pseudonri?~ de g1:1erre froide, comme nous l'avons prouve 1c1 à plusieurs reprises (cela remonte à 1925, au XIVe Con~ès du Parti, et fut répété par lui en diverses crrconstances), Staline s'est risqué aussi une seule fois à attaquer en traître un petit pays voisin, relativement faible, la Finlande, et lui non plus n'a pas eu à s'en féliciter. En tout cas ni Unine, ni Staline ne se seraient frottés proprio motu à une vraie puissance, et leurs héritiers n'y sauraient songer, non par pacifisme, mais par prudence, comme nous n'avons cessé de le soutenir. A fortiori depuis l'armement atomique. La «coexistence pacifique » est un camouflage verbal d'hostilités politiques et d'actions subversives excluant l'éventualité d'une guerre nucléaire qui équivaudrait à un suicide. De Staline en Khrouchtchev et en Brejnev, ce sont seulement les modalités et les aspects qui changent ou vont changer. Les idées fausses professées depuis vingt ans à Paris, à Londres et à Washington sur les intentions belliqueuses de Moscou et les perspectives d'une troisième guerre mondiale ont complètement égaré la politique extérieure des démocraties, donc favorisé l'ennemi, en les détournant (les démocraties) de la guerre politique, ou guerre froide, que mènent en permanence les Etats communistes sous le nom de «coexistence pacifique». Ce que le New York Times ose encore appeler la «ligne Khrouchtchev» demeure immuable de Staline en Brejnev, car en vérité elle ne dépend plus d'un individu omnipotent et ne se modifiera d'elle-même qu'avec le temps, faute de subir une riposte sérieuse dans la guerre politique. Aucun «expert »en soviétologie,parmi ceux qui vaticinent depuis bientôt vingt ans sur la troisième guerre mondiale, n'a encore expliqué pourquoi le pouvoir soviétique nourrirait un dessein de suicide. Certes, on ne saurait rétorquer l'argument selon lequel les hommes ont toujours agi en insensés, par conséquent commettront tôt ou tard une suprême extravagance cataclysmique. Mais on ne prétend raisonner ici que sur des matières raisonnables. Autre série de spéculations absurdes à écarter, celles qui concernent un« durcissement» éventuel de la politique soviétique à l'intérieur ou à l'extérieur, comme si Khrouchtchev à lui seul avait conçu cette politique après la mort de Staline, comme si les « tensions » ou les « détentes », indéfinissables et fallacieuses, tenaient à une simple mutation au Secrétariat de l'oligarchie communiste. Brejnev, Kossyguine, Mikoïan, Souslov, Ilitchev, Ponomarev, Chélépine et consorts sont tous des staliniens au même titre que Khrouchtchev; les trois derniers congrès du Parti n'ont pas obéi aux volontés d'un chef unique ; Khrouchtchev n'a pu dénoncer les crimes et les agisse-
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