Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

322 feste dans des documents étendus, tel le code d'Hammourabi, à Babylone, et en Egypte où le Nouvel Empire vient d'éliminer les Hyksôs. Trois grandes inventions caractérisent cette période. En premier lieu, la découverte, sinon du fer proprement dit, du moins du procédé qui en rend l'exploitation facile et peu coûteuse ; la diffusion de ce métal eut un effet démocratique inestimable, en libérant les paysans et les artisans des monopoles exploités par les souverains ou les grands propriétaires; dès 1.200 av. J.-C. l'usage du fer se répandit avec une extraordinaire rapidité en Asie occidentale, en Grèce, puis vers l'ouest grâce aux Phéniciens et aux Etrusques. D'autre part, l'alphabet échappe au monopole des castes sacerdotales ; simplifié par les marchands phéniciens pour leur comptabilité, il gagne Carthage et la Grèce qui le perfectionne en insérant des voyelles entre les consonnes. Enfin, l'invention de la monnaie élimine les complications inhérentes au troc et introduit une véritable révolution dans le mécanisme des échanges tant nationaux qu'internationaux. C'est surtout au millénaire suivant que la diffusion de l'écriture provoqua une magnifique efflorescence de la vie spirituelle. Pouvant désormais s'instruire hors des écoles de prêtres ou de scribes officiels, les hommes tendirent à s'affranchir aussi des polythéismes locaux ou des panthéons d'Etat pour s'élever à des conceptions plus simples, plus rationnelles, de l'univers et des conditions générales de la vie. De l'ExtrêmeOrient à la Méditerranée, un même courant semble alors établir de mystérieuses analogies entre la sagesse confucéenne, la mystique bouddhiste, le prophétisme d'Israël et le rationalisme des philosophes grecs. Tout en excédant l'étendue ordinaire d'une notice bibliographique, nous sommes loin de donner une idée complète de l'extraordinaire richesse de pareille synthèse. Au lecteur mis en goût par cet aperçu, on ne peut que conseiller de lire lui-même en son entier le livre puissant de Gordon Childe. THÉODORE RUYSSEN. Dilthey et l'historicisme JEAN-FRANÇOISUTER: Philosophie et histoire chez Wilhelm Dilthey. Bâle 1960, Verlag für Recht und Gesellschaft, 204 pp. LES OUVRAGECSONSACRÉS à Wilhelm Dilthey sont suffisamment rares pour qu'on ait jugé opportun de parler du remarquable travail de M. Jean-François Suter, bien que celui-ci date de plusieurs années déjà. On appelle souvent «historicisme »la conception propre à Dilthey des rapports entre l'esprit humain et son histoire. Mais le terme est équivoque et, comme l'a remarqué M. J.-F. Suter, so~s la forme Historismus, il n'a été employé Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL qu'une seule fois par Dilthey lui-même· qui s'est sans doute méfié du discrédit dans lequel il était tombé à la suite des critiques justifiées dirigées contre W1econception différente de la sienne. En effet, ce qu'on entend encore plus souvent par «historicisme » - par exemple dans le titre du livre de Karl Popper : Misère de l' historicisme (traduit de l'anglais, Pion, 1956), lequel ne concerne pas Dilthey, - c'est l'usage abusif des schémas de développement unilinéaire présentés comme des «lois de tendance » orientant l'humanité tout entière, considérée par rapport à l'une ou à l'ensemble de ses fonctions, dans un sens défini; schémas d'inspiration hégélienne~ comtiste ou évolutionniste, dont on était fort friand au siècle dernier et qui conservent leur influence de nos jours pour des raisons politiques plutôt que scientifiques, notamment à cause de la popularité que leur a valu le «marxisme» vulgarisé. Or, «historiciste » en ce sens, Dilthey ne l'était nullement. Il a critiqué, souvent en termes assez ~ sévères, Hegel aussi bien que Comte, reprochant au premier de subordonner le devenir historique à une sorte de devenir logique, au second de prétendre identifier les sciences humaines aux sciences de la nature (ce qui prouve d'ailleurs ·qu'il l'avait imparfaitement compris). Il n'a jamais admis pour son propre compte de schémas du genre de ceux qui ont été ci-dessus incriminés, et ce sont précisément des raisons tirées de sa doctrine qui permettent de repousser l'analogie fallacieuse entre les prétendues «lois de tendance » et les lois de la nature physique. Il repousse · expressément la conception téléologique de la philosophie de l'histoire, providentialisme déguisé sous des apparences scientistes, souvent en vue d'extorquer des choix politiques. Le sens historique qu'il préconisait en philosophie ne peut rien avoir de commun avec le prétendu «sens de !'Histoire » que Marx lui-même paraît avoir dénoncé par anticipation dans un texte célèbre de La Sainte Famille. Afin d'éviter toute confusion, il faudrait sans doute disposer d'un autre terme qu' « historicisme »pour désigner la pensée de Dilthey. M. Suter définit l' « historicisme » au sens de Dilthey comme la conception d'une «production historique de la vérité». Il s'agit effectivement d'un problème que . Dilthey s'est constamment posé, mais sans que l'on puisse dire qu'il soit parvenu à lui trouver une solution qui le satisfasse lui-même. La « philosophie de la philosophie » que voulait instituer Dilthey en classant les « visions du monde » dont il admettait la diversité irréductible, n'est pas le système, entendu à la manière de Hegel, de tous les systèmes : en effet, elle ne comporte pas d'intégration finale. Dans ces conditions, comment éviter un relativisme qui avoisine le scepticisme ? Il vaut 11\Îeuxne pas parler de l' « historicisme » de Dilthey comme d'une solution puisque c'était, en fait, seulement l'indication d'un problème. On retiendra que le perspectivisme de Nietzsche qui a suggéré l'énoncé du problème abandonnait franchement la notion de la vérité une, notion que Dilthey aurait voulu conserver.

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