Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

QUELQUES LIVRES « Pour moi, écrit-il, l'origine de nos techniques électorales et délibératives ne doit être recherchée ni à Rome, ni à Athènes, ni dans les communes médiévales, ni dans les Etats généraux de France, ni dans le système parlementaire britannique, mais dans les pratiques de l'Eglise et des ordres religieux. » Et il s'attache à dater un bon nombre de techniques : majorité absolue, majorité relative, majorité des deux tiers, voix double du président, quorum, scrutin secret, scrutin par assis et levé, etc. Et l'on aperçoit que sur chaque point il y a antériorité de la pratique ecclésiastique sur la pratique civile. Peut-être serait-il difficiled'aller au-delà, de démontrer la filiation de toutes ces institutions. Du moins y a-t-il le cas de la Grande Charte et des dispositions qui l'ont complétée: les évêques ligués avec les féodaux contre Jean sans Terre ont joué un rôle important dans son élaboration, et l'on a même déjà pensé à y voir l'influence des dominicains. Léo Moulin montre qu'il convient plutôt d'y discerner celle de Cîteaux. De même, il expose que tous les détails du système adopté pour les élections aux Etats généraux en 1789 procèdent de pratiques qui étaient traditionnelles dans les ordres religieux. Ces ordres n'ont pas seulement créé les techniques électorales. Ils durent depuis très longtemps, et leur longévité dépasse celle des régimes politiques. Cela fait supposer qu'ils sont bien gouvernés. Aussi l'auteur s'attache-t-il à définir les méthodes gouvernementales de trois des principales congrégations : les dominicains, les jésuites et les bénédictins. L'organisation dominicaine lui apparaît telle « une cathédrale du droit constitutionnel ». Le trait le plus remarquable est que le chapitre général, qui se réunit cinq fois en douze ans - durée du mandat du général - est chaque fois différeminent composé. Il élit le général, il détient l'autorité suprême, mais toute mesure constitutionnelle doit être approuvée par trois chapitres successifs. Etudiant ensuite le gouvernement des jésuites, qui « a été adopté par la plupart des instituts religieux créés depuis le xv1e siècle», Léo Moulin le qualifie de « système présidentiel équilibré ». A la vérité, le général est élu à vie, et la « congrégation générale », théoriquement souveraine, n'est guère convoquée que pour élire un nouveau général. Seules limitent le pouvoir du général la présence de huit assistants nommés comme lui par la « congrégation générale », une « assemblée des procureurs » qui se réunit tous les trois ans et que Léo Moulin définit comme une assemblée de « capacitaires », et enfin, selon le P. Meschlev (cité par l'auteur), « l'action de l'aristocratie du savoir et du caractère qui constitue ses troupes ». L'auteur étudie enfin l'organisation des bénédictins. Mais vaste est la famille bénédictine, l~ngue son histoire,et diversela structurede ses différents rameaux. A l'origine, les monastères sont indépendantsles uns des autres.La réforme de Cluny sera d'esprit monarchique,mais cette organisationsuccombera à l'excès de sa réussite: Biblioteca Gino Bianco 319 pour n'avoir pas songé à diviser son empire en provinces, l'abbé de Cluny se trouvera devant la tâche irréalisable de visiter près de deux mille maisons réparties sur un immense territoire, dans un temps où les voyages étaient lents, les routes incertaines. Cîteaux remédiera à ce monarchisme impraticable en donnant la souveraineté à un chapitre général « qui est une préfiguration pour ainsi dire parfaite de nos parlements » : il est composé des représentants élus de toutes les communautés de l'ordre. Cependant Cîteaux à son tour connaîtra la décadence, pour la même raison que Cluny : pas plus qu'un monarque une assemblée ne peut, à une époque de communications lentes, administrer directement un trop vaste empire. Aujourd'hui il y a, chez les bénédictins, un secteur centralisé dû à l'action récente du Vatican, mais il subsiste un secteur d'esprit fédéraliste qui rappelle l'anarchie contemplative des premiers siècles de l'ordre. On n'a pu ici donner qu'un bref aperçu des richesses d'un livre qui est un très vivant manuel de la vie politique des ordres religieux. Mais on ne donnerait pas une idée juste de cet ouvrage si l'on ne disait qu'il n'est si vivant que parce que l'auteur - bien qu'agnostique et socialiste - éprouve pour les congrégations religieuses une sympathie qu'il ne cherche pas à dissimuler. Et la source de cette sympathie est assez visible. « On dirait, écrit-il (pp. 91-92), que, pendant des siècles, le monde des religieux a été le jardin de la liberté créatrice, de la libre entreprise privée, pour parler le langage des économistes, de la spontanéité et de l'action individuelles. » Et ailleurs (p. 23) il présente l'histoire des communautés religieuses comme « la seule expérience historique in vitro que connaisse la science politique ». La prudence de Rome, si avare d'interventions en face des initiatives qui ont conduit à la création d'instituts religieux par centaines, lui suggère aussi des réflexions dignes de remarque. Cette liberté des religieux a, dit-il (pp. 109-110), de quoi « étonner le citoyen des Etats centralisés, contrôleurs et planificateurs d'aujourd'hui », il y a là « une liberté qui nous étonne, nous, hommes du xxe siècle, qui avons oublié ou perdu sa réelle saveur». Et lorsqu'il songe aux ordres religieux qui ont franchi tant de siècles et sont encore présents parmi nous, il ne peut se tenir de s'écrier: « 0 nostalgie du citoyen qui voit se flétrir chaque jour davantage des institutions à peine centenaires ! » D'autre part, il se réfère à plusieurs reprises (pp. 138, 143, 155) aux écrits où Léon Blum s'attachait à définir les conditions de l'efficacité gouvernementale, ces conditions que, président du conseil, son intelligence et sa bonne volonté seront impuissantes à instaurer. Ce contraste éclaire l'inspiration de Léo Moulin. Dans le monde des laïcs, le mouvement créateur est paralysé, l'action s'enlise et s'englue, et si l'on parvient à agir, ce que l'on construit subit bientôt l'usure du temps, se dégrade et s'efface. Monde décevant pour ceux qu'a envo0tés le vieux rêve

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