Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

294 vement engrangées, mais d'après l'estimation sur pied * et, depuis 1937, sans tenir compte de la moindre perte lors de la rentrée, elles sont exagérées, selon Prokopovicz, de 20 à 25 %- Certaines années, le revenu national de l'industrie a été gonflé encore davantage, peut-être de 30 à 40 %-Le calcul du revenu national de la construction est arbitraire et ne signifie rien, tout autant que celui du revenu national du commerce. Comment a-t-on pu établir des calculs aussi faux? AVANT le premier quinquennat, le revenu national, pour la période de 1924-28, était calculé sur les prix d'avant guerre, prix instables, et sur les prix de 1926-27. Les études économiques de cette époque étaient faites sur un plan théorique très élevé et avec une certaine liberté de pensée scientifique. Par les remarques de Stroumiline dans son livre : Esquisses de l'économie soviétique, traduisant les vues des collaborateurs du Gosplan en 1927, on sent combien l'atmosphère était différente, avant les quinquennats, de celle qui existera dans l'empire stalinien : En établissant sous forme de projets les plans économiques, nous devions nous préoccuper avant tout de leur utilité. Nous n'avions pas à nous demander au préalable si nous réussirions à convaincre de cette utilité les organismes dont dépendait l'approbation des plans. Anticiper et deviner quels sont, parmi les plans éventuels, ceux qui ont le plus de chances d'être accueillis avec faveur par tel ou tel organisme gouvernemental, n'est déjà plus une politique de plan, mais quelque chose de bien différent. Cela reviendrait à condamner la politique de plan à un « suivisme » sans espoir, pour ne pas dire à un « prosuivisme ». Un travailleur du Plan est un homme public et, comme tel, il doit défendre son point de vue sans se demander si le pouvoir le partage ou non. Sous Staline, pareil langage vaudrait à celui qui le tiendrait d'être fusillé ou envoyé dans les bagnes de Kolyma. Stroumiline - l'un des rares vieux économistes à ne pas avoir été « liquidé » - est membre de l'Académie des sciences de !'U.R.S.S., mais c'est un homme qui, politiquement et moralement, n'a plus de ressort: il tremble au seul nom de Staline et prie le ciel que le dictateur ait oublié qu'à une époque il a pu avoir d'autres opinions que celles du chef**. A partir de 1929 et surtout après les grands procès de 1930 et 1931, économistes, statisticiens et techniciens, terrorisés, se métamorphosèrent en « prosuivistes ». Toute étude objective devint impossible. En mai 1932, à l'Institut des études économiques du Gosplan, les économistes furent, pour la dernière fois, autorisés à parler des • Les successeurs de- Staline, confirmant cette observation, ont fini par dénoncer de telles pratiques et y ont mis un terme. - N. d. l. R. •• Ecrit, rappelons-le, juste avant la mort de Staline. - N. d. l. R. · Biblioteca Gino Bianco IN MEMORIAM méthodes de calcul du revenu national, notamment de la part allant à l'accumulation et de celle allant à la consommation. On était alors en pleine collectivisation de l'agriculture, réalisée avec des moyens barbares ; l' « accumulation primitive du capital » était obtenue, selon l'expression de Boukharine, par l'exploitation militaire-féodale des paysans. Il fallait opposer un démenti « aux clameurs ineptes des économistes blancs quant à une accumulation forcée en U.R.S.S. », les qna1ifier de légendes « aussi mensongères et calomnieuses que celles répandues sur le travail forcé» (Economie planifiée, juillet 1932). Comment, dans ces conditions, étudier avec objectivité l'accumulation du capital et calculer le revenu national? Ayant soustrait la. question à l'examen, le dictateur la prit en main et décida que le revenu national serait présenté comme bon lui semblerait, selon l'utilité politique et idéologique. La statistique se transforma en instrument du pouvoir. Armée de cette « méthode subjective», une commission spéciale présidée par Kouibychev fabriqua un chiffre mirifique pour le revenu national de 1932. Un beau jour, la population affamée eut la surprise d'apprendre que, pendant le premier quinquennat (1928-32), la production des biens de consommation avait doublé, que, « en prix de 1927-28, on était passé de 8,7 milliards à 16,3 milliards de roubles ». A dater de cette époque, la falsification des chiffres du revenu national alla bon train! On usa de moyens divers, mais par certains commentaires glissés dans les « Prévisions pour l'industrie alimentaire en 1932 », il apparut que la production d'un certain nombre de branches de ladite industrie n'était nullement calculée sur les prix de 1926-27 mais sur ceux, beaucoup plus élevés, de 1930 et 1931. En l'occurrence, la substitution à une valeur de compte « stable » de prix se rapportant à d'autres années ne fut pas un cas isolé: plus tard, on découvrit dans Economie planifiée que la production de l'industrie artisanale (qui ne fournit pas moins de 20 % de la totalité des articles de consommation) était estimée d'après les « prix conventionnels de 1932 », et celle de l'industrie dépendant des autorités régionales, d'après· les « prix conventionnels de 1935 ». Pour la production des industries nouvelles qui ne pouvait être estimée d'après les prix de 1926-27, on se fondait d'ordinaire sur la moyenne des prix de cette production « dans les trois premiers mois de sa mise en marche». Il est évident que dans le calcul de la production globale, elle entrait pour une somme bien supérieure à son montant réel : , A mesure qu'on s'éloigne de 1926-27, les prix de cette année-là sont de moins en moins utilisés pour estimer la production calculée d'après les prix constants. A valeur égale, les produits auxquels on peut appliquer des prix stables sont relativement peu nombreux (M. Rothstein in Problèmes de la statistique industrielle en U.R.S.S., 1936, p. 246).

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