280 çaient de s'en tenir fermement à la conception menchévique du caractère bourgeois de la révolution, de la bourgeoisie en tant que seule héritière possible du pouvoir, du sens fatal del' «isolement» du prolétariat, aussi bien pour ce dernier que pour les destinées de la révolution dans leur ensemble. La discordance entre l'humeur de Martov à l'époque et l'état d'esprit d'une bonne partie des menchéviks fut ressentie si douloureusement par lui, que cela lui ôta tout désir de participer au congrès de Stockholm et en général réduisit considérablement son activité dans le parti. Mais en mai 1906, il fut arrêté et expulsé de Russie. Cela explique pourquoi en 1906-1907, Martov (aussi bien que l'auteur de ces lignes) joua en quelque sorte, aux yeux du monde, le rôle de représentant officiel du menchévisme (L'Ori- ~ine du bolchévisme, pp. 383-84). Certes l'illustration de ce « vertige », de cet épisode qui caractérise l'instabilité de la ligne tactique menchévique, est loin d'épuiser le processus de constitution du menchévisme et sa recherche de l'autodétermination politique. A la lumière des défaites de la première révolution et de l'expérience tragique de la deuxième, l'histoire du menchévisme représente pour la pensée socialiste contemporaine une source inépuisable d'étude et de réflexion. Dan qui avait, dans les dernières années de sa vie, cherché une « synthèse » entre le socialisme démocratique et le communisme, et pour cela passé au crible le menchévisme, portait, dans son livre révisionniste, un jugement très favorable sur l'activité des menchéviks jusqu'en 1917 : Non seulement dans les mois qui précédèrent la révolution et pendant les «jours de liberté» [1905], mais aussi pendant toute la période postérieure de semiconstitutionnalisme, jusques et y compris la révolution de 1917, le menchévisme (...) se révéla organisateur politique, guide et dirigeant de la première étape ... Si le menchévisme qui s'était formé sous l'égide de Martov, qui avait compté parmi ses maîtres Axelrod et Plékhanov, qui était redevable de bon nombre de ses succès à Dan, à Potressov et à une brillante pléiade de militants agissant dans des domaines divers - a pu devenir l'organisateur et le guide politique du mouvement ouvrier de masse en Russie, il n'est pas exagéré de dire que, malgré ses errements théoriques et ses échecs pratiques, le menchévisme entre dans l'histoire de la Russie comme l'un des éléments essentiels de la lutte pour la libération du pays et pour son européanisation. De cela il faut également tirer une conclusion plus générale. Par suite d'un concours de circonstances (guerre malheureuse, qui avait fait que soldats et paysans étaient devenus le support fondamental du régime révolutionnaire et de la politique démagogique des bolchéviks, lesquels avaient déchaîné le maximalisme et les forces élémentaires dans le pays), tous les courants à l'intérieur du menchévisme, aussi bien ceux de droite que ceux du centre et de la gauche, s'étaient résolument écartés du bolchévisme. Comme les bolchéviks, ils Biblioteca Gino Bianco .. LE CONTRAT SOCIAL se considéraient tous marxistes, et qui plus est marxistes orthodoxes, ne cédant pas un pouce sur les principes. Jusqu'à leurs de~ers jo~s, Plékhanov, Potressov et Martov resterent disciples fidèles de Marx. Mais pour d~s motifs politiques aussi bien que psychologiques et moraux, tous les dirigeants du menchévisme (sou- . tenus en cela par l'intelligentsia ouvrière d'avantgarde et p·ar un noyau important de militants en province) se séparèrent du bolchévisme. Pendant la révolution de Février, le volontarisme sans frein et la volonté de puissance comme la conduite irresponsable de Lénine et de Trotski engendrèrent une profonde solidarité, quant aux motifs moraux, avec les dirigeants des soviets - Tsérételli, Dan, Liber, - et jusque chez les menchéviks qui n'approuvaient pas ces derniers dans les questions touchant à la politique extérieure, à la guerre et au maintien de la « coalition » dans le Gouvernement provisoire. Et quand les bolchéviks, profitant de l'impuissance et de la résignation de la démocratie révolutionnaire, prirent le pouvoir, dispersèrent l'Assemblée constituante, foulèrent aux pieds les embryons de démocratie dans le pays et mirent à l'ordre du jour la guerre civile, entre bolchéviks et menchéviks s'ouvrit un abîme que ne pouvait combler aucune promesse de révolution socialiste immédiate. Cette dernière était rejetée d'autant plus facilement par les menchéviks qu'ils restaient des partisans de Marx, qu'ils ne voyaient pas dans le retard économique et le caractère agraire de la Russie un avantage mais au contraire un obstacle au socialisme, les premières lueurs de la révolution sociale eussent-elles brillé en Europe occidentale. L'aile gauche des menchéviks-intemationalistes pouvait, certes, sur ce point, faire certaines concessions, surtout sous le coup de l'écroulement des Empires centraux. Mais l'état d'esprit des menchéviks de droite et des menchéviks modérés fut défini beaucoup plus exactement par Axelrod, qui, dès 1903-1904, puis de nouveau en 1918, formulait, en des termes on ne peut plus nets, sa répugnance à l'égard du bolchévisme : « La domination bolchévique a pratiquement dégénéré en contre~révolution brutale( ...). Ce n'est pas entraîné par la polémique, mais mû par une profonde conviction que j'ai, il y a dix ans, caractérisé la compagnie léniniste comme une bande de CentNoirs et de criminels de droit commun à l'intérieur de la social-démocratie. Les léninistes conservent le pouvoir par les méthodes et moyens mêmes à l'aide desquels ils s'en sont emparés( ...). Dans la lutte contre ce pouvoir, nous avons le droit de recourir aux moyens que nous considérions comme appropriés dans la lutte contre le régime tsariste (...), fût-ce les moyens militaires. » GRÉGOIRE AR.ONSON. ( Traduit du . russe) (,
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