276 du 53e numéro, sans la participation de Lénine, en · s'adjoignant (outre Plékhanov, Axelrod, Martov, Zassoulitch et Potressov) Dan, Trotski, Martynov et Koltsov. Le plus intéressant dans la critique de l' lskra formulée par Martov est l'attitude de ce dernier envers l' « héritage iskriste », son aveu que des erreurs avaient été commises. Il fut également le premier à comprendre ce qu'était réellement Lénine. Mais donnons-lui la parole. Dans la brochure La Lutte contre l'état de siège dans le P.O.S.D.R., Martov écrivait : Le courant de pensée qui a dicté la politique d'état de siège n'a pas été le résultat de la «folie géniale» d'un seul homme fort, elle n'a pas été engendrée par le mauvais vouloir d'une catégorie précise : ce courant de pensée, légitime en son genre, est l'œuvre de l'Iskra (...). A l'époque du congrès, l'iskrisme s'est mis pratiquement à retarder le développement du parti (pp. 67-68). Dans une autre brochure polémique postérieure au congrès, En avant ou en arrière?, Martov écrivait : · Lénine est le représentant de la tendance conservatrice dans notre parti, tendance qui redoute toute attitude critique envers l' «héritage iskriste ». Voilà pourquoi il est si mécontent de ce qu'ont dit Plékhanov et d'autres sur les exclusives qui caractérisent la période de la lutte contre l' «économisme » ; voilà pourquoi il se détourne si brutalement de la véritable analyse marxiste donnée à notre mouvement par P. V. Axelrod (p. II). Dans cette même brochure, Martov touche au chef-d'œuvre quand il brosse le portrait de Lénine au cours d'une lutte fractionnelle acharnée, fixant pour cette période préhistorique les traits qui seront également ceux du « Lénine sur le trône » après Octobre : On voit quelque chose d'érostratique dans l'affaire qu'il a entreprise, naturellement avec les meilleures intentions du monde (...). Il vaut la peine de lire ces lignes qui décèlent la méchanceté mesquine et parfois absurde, cette singulière infatuation, cette rage aveugle, sourde et en quelque sorte insensible ; il faut lire la répétition interminable des mêmes mots «hardis » et «cinglants» vides de sens, pour se convaincre que nous avons affaire à un homme fatalement obligé de glisser le long de la voie sur laquelle il s'est «spontanément» engagé et qui le mène tout droit à l'entière perversion politique de la social-démocratie et à sa dislocation. C'est un exploit digne d'Erostrate, diront les descendants (p. 5) 6 • C'est ainsi que Martov sentait le bolchévisme à l'aube du schisme. Dans la suite, la figure de Lénine acquerra pour lui toujours davantage les 6. Sur les sentiments de Martov envers le bolchévisme, cf. notre article du Courrier socialiste, n° 7, II avril 1940. La définition de la politique de Lénine donnée par Martov, pour lequel cette politique était un exploit d'Erostrate, laissa une empreinte profonde sur les milieux menchéviks : Axelrod intitula : « Les Erostrate » l'un des premiers écrits qu'il publia après octobre 1917 à Stockholm. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL attributs propres à Nétchaïev. Naguère, ayant discerné les particularités et les façons de TychkoIoguichès, Plékhanov l'avait nommé : « l'édition miniature de Nétchaïev ». Un peu plus de dix ans après, Martov écrira à propos de l'activité de Lénine: Je me suis fermement décidé à convaincre le parti de se libérer du terrible danger représenté par le netchaïévisme qui s'est niché dans nos rangs. Aujourd'hui, la tolérance envers les falsificateurs, demain, l'entrée libre pour les Diégaïev. On a là, au pied de la lettre, le pressentiment de l'apparition de Malinovski et du rôle funeste qu'il jouera auprès de Lénine. Petit à petit, Martov acquerra la conviction, qui ira se renforçant avec les années, que pour les menchéviks il est impossible de faire route avec Lénine, que la rupture définitive est inévitable. Désespéré, Martov écrivait à Axelrod le 3 septembre 1908, avant la réunion du Comité central : J'avoue que je considère de plus en plus comme une erreur mon adhésion nominale aux activités de cette bande de brigands. En 1911, alors que l'heure de la rupture formelle approchait, Martov publia son pamphlet sur les bolchéviks intitulé : Sauveurs ou destructeurs?, lequel dissipait les dernières illusions sur la possibilité d'une « coexistence » des menchéviks et des bolchéviks à l'intérieur d'un même parti. Dans tous les travaux de Martov de ces années-là, Lénine et les bolchéviks restent cependant considérés, en dépit de la critique acerbe dirigée contre eux, comme membres d'une seule et même famille, communiant dans une seule et même fraternité socialiste. Qui pouvait alors prévoir que ses schémas sur l'organisation, qui étaient son idée fixe, Lénine essaierait (et non sans succès une quinzaine d'années plus tard), en utilisant la guerre et la révolution, l'exaspération et le chaos, de les transposer du microcosme qu'était le parti social-démocrate illégal au macrocosme que représente un grand pays ? L'INTERPRÉTATION la plus approfondie du bolchévisme après le IIe Congrès. fut le fait · d' Axelrod dans ses feuilletons de l' Iskra de décembre 1903 - janvier 1904 (n°8 55 et 57). Axelrod n'est pas un auteur facile :· la lourdeur du style s'allie chez lui à une pensée compliquée qu'il est difficile d'extraire de la gangue des mots. Néanmoins les menchéviks se jetèrent sur ces feuilletons-comme les Juifs sur la manne céleste, précisément parce qu'il prophétisait l'application des idées de Lénine au cas où le parti bolchévique prendrait le pouvoir dans le pays. Trotski écrivit dans Nos tâches politiques : « [Les articles d'Axelrod] marquent le début d'une nouvelle époque dans notre mouvement» (p. 25).
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