Le Contrat Social - anno VIII - n. 5 - set.-ott. 1964

G. ARONSON sati.on pour être considéré comme membre. La différence des deux conceptions., dans le fond., n'était pas très grande : étant donné les conditions du travail clandestin., tous les signes légaux et tous les attributs d'appartenance (carte du parti, cotisations., etc.) faisaient entièrement défaut. L'important n'était pas là : en fait, le premier point des statuts., dans la version de Martov, recueillit au congrès la majorité des voix ; en conséquence., ce ne sont pas les léninistes, mais bien les partisans de Martov qui auraient dû se dire bolchéviks, c'est-à-dire majoritaires. Mais tout autre était le centre de gravité des plans léninistes concernant l'organisation. Aujourd'hui., sachant combien Lénine aspirait à prendre le pouvoir dans le parti et à y exercer une dictature personnelle., nous nous rendons compte que tous ses plans centralisateurs étaient destinés à lui frayer la voie vers cette dictature. Fort de l'autor~téde Plékhanov., s'appuyant sur ses propres partisans, des «révolutionnaires sûrs »., il s'assigna pour tâche d'assurer personnellement la direction de l'organe central, la surveillance du Comité central, puis du conseil du parti, lequel devait être composé de représentants du journal et du Comité central plus un président (en l'occurrence, Plékhanov., allié avec Lénine). Il va de soi que ces considérations détaillées, méticuleuses., étaient étayées par une théorie sentencieuse sur la lutte contre toute espèce d'opportunisme, théorie qui devait servir d'écran à l'étreinte implacable de Lénine. Le voile se déchirant petit à petit pour laisser apparaître les véritables intentions de celui-ci., la rébellion des «iskristes mous » éclata, conduite par Martov. Leur indignation atteignit son comble lorsque Lénine découvrit ses cartes : voulant se réserver la direction de l' Iskra, il présenta un plan d'« émondage de la rédaction»., ce qui revenait à écarter Axelrod, Zassoulitch et Potressov. De toute évidence, il ne pouvait pas poser formellement la question de sa direction personnelle : c'est pourquoi son plan prévoyait qu'en même temps que lui devaient entrer au comité de rédaction Plékhanov et Martov (qui furent effectivement désignés par la suite) 4 • Tout devenait clair. Martov ne se contenta pas de refuser sa collaboration : il déclara d'un ton ferme qu'il se condidérerait comme« compromis» s'il acceptait l'éviction des trois anciens. C'est sur cette question que la rupture eut lieu : il se forma une fraction de martovistes., la minorité, les menchéviks. Ceux-ci refusèrent d'entrer au Comité central. Lénine avait réalisé son plan., formulé par lui dans la déclaration de principes faite par la rédaction de 4. Sur les sentiments nourris alors par les bolchéviks à l'égard de Martov, nous lisons dans les Lettres aux camarades ,ur le ]le Congris du P.O.S.D.R. de Pavlovitch-Krassikov : • Tout en étant ravis par le talent littéraire de Martov, nous ne l'estimions pas capable de diriger la politique de son propre chef. Ses talents ne peuvent ~tre utilisés qu'en collaboration avec des esprits politiques rigoureux, comme le sont indubitablement Plékhanov et Lénine • (p. 17). Biblioteca Gino Bianco 215 1'/skra: « Avant de nous unir, nous devons d'abord résolument et nettement nous différencier. » C'est ainsi que l'on se différencia au IIe Congrès, lequel aurait dû unir pour la première fois le parti socialdémocrate. Avant que ne devienne clair le sens du dissentiment politique entre bolchéviks et menchéviks., avant que les menchéviks ne prennent conscience que derrière les différends à propos de l'organisation se profilait l'ombre de profonds désaccords politiques, les eaux se partagèrent sur la question du centralisme que Lénine cherchait à imposer au congrès. Trotski, maître en formulations tranchantes., se montra fort perspicace lorsque, dans sa brochure : Nos tâches politiques~ il présenta en ces termes les plans de Lénine sur l'organisation : Quelque part tout là-haut là-haut, quelqu'un enferme quelqu'un quelque part( ...), on étouffe quelqu'un., quelqu'un se proclame quelque chose. Voilà bien le régime que Lénine instaurera après la victoire. Dans ses Deux dictatures, Martynov soutint que le plan de Lénine était «copié sur l'Alliance de Bakounine-Nétchaïev », alors que ses théories sur l'instauration d'une dictature révolutionnaire qui « prendrait le pouvoir ne serait-ce que temporairement », par suite d'un «soulèvement armé général » (du Tkatchev tout pur), étaient, en fait, des « corrections apportées au marxisme». Déjà Lénine «corrigeait» Marx et, «à la manière jacobine », il peignait sous de nouvelles couleurs à la fois l'attitude de la social-démocratie envers la classe ouvrière (en affirmant que le mouvement ouvrier est seulement capable d'élaborer une conscience trade-unioniste et que le socialisme ne peut lui être fourni« que du dehors ») et l'attitude du parti social-démocrate envers la bourgeoisie libérale. Martov jugea la conduite de Lénine au congrès ainsi que ses plans d'organisation : lors de la discussion qui suivit le congrès, il s'efforça de dresser le bilan de la période précédente quant au développement du parti, et avec la franchise qui lui était propre il soumit à l'autocritique toute la ligne politique de l' Iskra. Cela se passait après que, obéissant à la directive de Lénine, le membre du Comité central Martov eut «dissous » comme « illégal » le congrès de la Ligue de la socialdémocratie révolutionnaire à l'étranger, au cours duquel Leo Deutsch « en avait appelé ouvertement à l'insubordination envers les propositions du C.C. » 6 • Cela se passait après que Plékhanov eut rompu avec Lénine ; l' /skra, au comité de rédaction de laquelle Plékhanov cooptait tous les anciens membres, devenait menchévique à partir 5. C'est ainsi qu'est caractérisée l,intervention de ~- Deutsch par P. Lépéchinski dans : • Des petits groupes isolés des masses au parti•, article d,introduction aux procèsverbaux du ne Congrès, publiés en 1924, p. 391. Cette • désobéissance aux propositions du Comité central • est une des perles de la pensée bureaucratique de ces années-là.

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